Les nouvelles TVA
J’ai été chez mon voisin Pascal pour écouter les nouvelles TVA. La température extérieure était délicieuse, alors il ne fallait pas embêter les téléspectateurs avec des mauvaises nouvelles. On a eu droit à un policier héroïque qui a sauvé une petite fille tombée dans une piscine à DDO. Il lui a fait des manœuvres de réanimation. Mon voisin a dit « Il a mis le taser à la force minimale. » Après l’entrevue, le journaliste a transmis un message du policier : il insistait pour qu’on souligne que ce sauvetage avait été un travail d’équipe.
Ce printemps, on était dans la saison des séries éliminatoires. Avec les Canadiens dedans. Alors la TV jouait partout dans les bars et les cafés
. (Encore plus de pub pour envahir l’espace public.) J’ai entendu les nouvelles de TVA à la brasserie Au coin du métro. La partie des Canadiens commençait à 20 heures, mais la TV nous cassait déjà les oreilles alors que Fred et moi on essayait de souper. Il y avait cette fois un reportage sur des CL-415 éteignant un feu de broussaille aux pieds de lignes d’électricité. Les valeureux pilotes ont répondu à quelques questions. C’est un classique du show ça, les entrevues avec des valeureux quelque chose. Des soft news, que ça s’appelle. Les images étaient belles : les gros pylônes, le CL-415 qui descend, qui lâche son nuage. C’est le son qui est débilitant à la TV. Une boursouflure de langage qui annule la vérité visuelle. Comme le parfum, qui séduit en criant au nez un mensonge. Chez mon voisin, on a déjà regardé un soap : des aryens supérieurs y vivaient des drames. La fausseté de ce show-là n’était pas seulement dans le son : elle était aussi dans le jeu des acteurs. Un jeu semblable à celui des mauvais films de cul, empiré par l’atroce doublage.
Quant au journal télévisé TVA, il a tourné son attention pleine de neutralité sur les scandaleuses hausses des prix de l’essence. Un micro ouvert a permis aux automobilistes d’exprimer leur frustration de bon peuple pris en otage par les méchantes multinationales. Gandhi lui-même aurait soutenu une si noble indignation. À la fin du reportage, on pouvait être convaincu que ce sont bel et bien les prix de l’essence le problème, et non la dépendance au pétrole. L’automobile dans les nouvelles TVA est une réalité objective voulue par les lois de l’évolution. Surtout pas une nuisance.
Mais la nouvelle la plus importante restait encore la série éliminatoire des Canadiens. Qui d’ailleurs était l’événement suprême à Montréal. L’emblème du printemps 2008 restera le petit drapeau des Canadiens posé sur les vitres des chars. C’était la bébelle de l’heure, comme les Garfields en toutou avec des pattes en ventouses il y a vingt ans, et les faux glaçons de Noël lumineux du début des années 1990 : une pacotille vendue subitement à des millions d’exemplaire. La pacotille de ce printemps soulignait la Ferveur, le grand rassemblement pour une cause commune, jetée ensuite parmi les 20 tonnes de vidanges quotidiennes le lendemain de l’élimination.