Chapitre II Le Collège Crémazie

Le cégep Crémazie est le plus noble et le plus ancien. Son nom commémore un poète patriotique des années 1850. Crémazie a écrit des odes au Saint-Laurent. Il était aussi commerçant. Il a commis des erreurs dans ses budgets et il a essayé de faire des faux pour se couvrir. Son châtiment a été l’exil. Il était dans Paris quand les Prussiens ont assiégé la ville. Pour survivre, Crémazie a mangé des rations de viande de chat. Les journaux de Paris continuaient de paraître pendant le siège. Comme ils étaient coupés du monde, ils imprimaient des rumeurs. Au pire de la guerre, un pigeon est passé par-dessus les lignes prussiennes avec dans ses pattes une gazette de Rouen remplie de mauvaises nouvelles. La ville s’est rendue. Une révolution a éclaté. Les révolutionnaires ont proclamé l’émancipation des femmes et l’égalité des enfants bâtards. Les habitants des banlieues ont refusé ces excès. Les Prussiens leur ont donné des armes. Beaucoup de sang a coulé. Pour Crémazie, la cause des malheurs de la France était qu’elle avait abandonné la religion. Il est mort dans la solitude sans jamais revoir son cher Canada.

Pour sa première journée au cégep, Manon avait des superbes lunettes neuves à cadre argenté. Elle découvrait à chaque seconde un monde ravissant d’images claires. Elle a pu voir qu’elle débarquait au jardin d’enfance le jour du party d’halloween. Les gars avaient de la morve au nez, et les filles ressemblaient à des poupées dans des boîtes en cellophane. Surtout la blonde-là avec son déguisement de Cendrillon des temps modernes, et l’autre brune qui voulait ressembler à un vampire. Dans le cours de français, il fallait faire un travail d’équipe. Un scout déguisé en bûcheron a regardé Manon avec un air lubrique. Jamais Axel n’aurait laissé un crotté pareil mettre les pieds à la Première Discothèque. Pour se sauver, Manon s’est mise en équipe avec une la plus belle fille que ses lunettes lui ont permis de voir. Une fille aux cheveux roses qui avait le genre marquise de Pompadour et qui s’appelait Laetitia Poisson.

Le midi, Manon et Laetitia ont mangé ensemble des sandwiches au végépâté. « Je pense qu’on va avoir une bonne note dans notre travail de français. J’ai bien fait de me mettre avec toi, t’es savante. » « T’as bien faite certain, je suis le chouchou de toutes les profs. »  Les deux filles avaient la même stature forte, mais Laetitia était calme et pâle. L’été sa peau brûlait. Manon au contraire était très brune. L’été, elle se faisait demander son origine ethnique. En plus, elle parlait fort, elle sacrait et elle riait en montrant ses dents.

Laetitia venait de déménager de la Gaspésie pour faire son cégep. La Gaspésie est la périphérie extrême du vivoir à chair fraîche de Montréal. À tous les trois mois, un autobus fait la tournée des villages de la péninsule pour y cueillir les vierges. Sous d’autres cieux, le prélèvement du sang de la jeunesse inspire la terreur. Mais dans les terres qui dépendent de Montréal, les vierges attendent avec impatience le jour de leur consécration. Surtout les Gaspésiennes, qui se pressent pour monter dans l’autobus. Aucune ne voudrait être la dernière à partir. Les vierges de Gaspésie savent qu’un moratoire pourrait être déclaré sur les prélèvements. Leur pays est trop éloigné, alors il ne se renouvelle pas et il risque chaque année d’être saigné à blanc.

Laetitia était épaté de l’immensité d’espace qu’il y avait dans chaque mètre carré de Montréal. Les anciens amoureux passent en métro sous leur ancien bonheur sans même s’en apercevoir. La colporteuse de roses et le technicien du câble font depuis quatre ans le même chemin sur le trottoir. Ils se voient. Mais leurs lignes de vie ne se rencontrent pas.

Manon a décidé que Laetitia serait sa troisième meilleure amie, après Jasmine qui l’avait ennuyée et Maude qui l’avait reçue chez elle. Pour célébrer l’occasion, Laetitia est arrivée chez Manon avec une bouteille de vodka et de la grenadine. Manon l’attendait avec du pot que son ancien fiancé lui avait envoyé comme cadeau de paix. Pour mettre de l’ambiance, les filles ont écouté The Beat Radio.

Le jour, The Beat Radio diffuse des chansons d’amour faciles à reconnaître. Ses auditeurs sont des lectrices de journaux féminins et des patients qui croupissent dans des salles d’attente. La présentatrice vedette s’appelle Alexa Vandernest. Elle aime faire souffrir. Son émission la plus angoissante s’appelle Open Heart. Elle y reçoit des damnés et des lobotomisés. Elle leur parle gentiment. Elle les réchauffe avec son empathie. Les damnés et les lobotomisés s’épanchent. Ils racontent des douleurs qu’ils ont vécues. Ils affichent des vrais sentiments. Alexa Vandernest fait jouer de la musique douce. À 22 heures, The Beat se métamorphose et devient le spécialiste du dance music à Montréal. La station s’adresse alors aux adolescents qui fument des joints avant de sortir.

Les meilleurs soirs du Beat sont ceux où MC Nick est au contrôle musical. Chaque année, il lance une compilation des hits de l’heure. C’est lui qui les découvre. Il choisit parmi des démos l’air qui va devenir l’hymne de l’été prochain. Dans sa préhistoire, MC Nick faisait danser le long des murs des clients de bars habillés en noir. Il avait aussi travaillé au Standing, un bar pour dames. Il avait trouvé cet emploi tout seul. Ses parents étaient des nerveux qui payaient leurs dettes avant terme. Ils s’attendaient à ce que leur fils se trouve une position, si possible au gouvernement. Nick avait préféré abandonner l’école et vivre dans le bruit une vie qu’il s’inventerait.

La patronne du Standing était une grande femme blond platine qui portait des bijoux brillants. Elle aimait beaucoup son DJ. Elle vantait son professionnalisme et sa timidité. Un soir, elle l’avait invité au récital d’une poétesse anglaise. Nick avait été transporté par le regard absent de cette femme qui déclamait de la détresse. Après le récital, il avait couru à ses platines. La poétesse en personne avait paru sur sa piste de danse. Nick revenait de Barcelone. Il en avait ramené un disque où elle disait ses vers sur un rythme de danse. Il l’avait fait jouer. Plusieurs clientes du Standing revenaient du récital elles aussi. Elles s’étaient délectées une fois encore des mots et des rythmes. À la fin de la nuit, la poétesse était venue remercier Nick dans sa cabine pour le triomphe qu’il lui avait fait.

Manon et Laetitia riaient fort quand elles sont sorties prendre un taxi. Le chauffeur aurait pu être charmé par de telles clientes, mais il était absorbé par sa radio, qui diffusait des discours politiques en créole. Ces discours étaient des appels au meurtre. Les jeunes filles ont fait silence. Elles avaient l’étrange impression d’entendre leur propre langue depuis l’extérieur. L’orateur disait ce qui semblait être du français, mais les filles ne comprenaient que quelques uns de ses mots. L’orateur prononçait le nom de traîtres. Il disait le lieu de leur refuge dans la Cité-Soleil. Il leur bloquait le chemin de l’exil. Il adressait aussi au chauffeur des menaces intimes. Les menaces se renouvelaient chaque nuit. Le chauffeur les attendait en allumant sa radio que couvrait la voix de la répartitrice. Les filles se sont fait conduire jusqu’au Mixed-Up, un bar situé près du boulevard Métropolitain.

Le DJ résidant du Mixed-Up avait le visage osseux, une couette et les cheveux rasés aux tempes. Il avait le pouvoir d’inspirer des visions aux danseurs. Ses spécialités étaient les visions de 747. L’ouverture des valves. Le take-off run. Les 400 tonnes du jet qui quitte le sol. Le touch down. L’inversion des réacteurs. Quand les danseurs étaient en transe, le DJ prenait son micro et leur faisait vivre depuis le poste de pilotage une collision au sol entre deux jets.

Chacun vit deux vies à la fois. Pendant qu’une moitié d’âme dort, l’autre moitié est en éveil. Les dormeurs recueillent des énergies et des signaux que leur moitié leur envoie par les rêves. Il arrive aussi que les deux moitiés d’âmes soient en éveil en même temps. Les gens qui veillent tard profitent des échos de leur autre vie. C’est ce qui motive les sorties dans les bars. Les âmes peuvent communiquer avec leur double, mais elles ne peuvent jamais les rencontrer. Toute tentative est vouée à l’échec. Les amoureux perdent la faculté d’entendre leur vraie moitié. L’atrophie de leur âme leur enlève la sérénité. Ils sentent le manque. Ils croient qu’il leur faut quelqu’un d’autre. Ils refont leur erreur. Ils essaient à nouveau de partager leur vie. Ils s’enfoncent. Ils ne savent pas laisser la solitude refaire leur unité. Les deux vies d’une âme commencent en même temps, mais les hasards de l’existence ne font pas nécessairement coïncider les deux morts. Ainsi, quand le double de quelqu’un meurt, cette personne se met à faire des rêves déserts et des nuits sèches. Il ne lui reste plus qu’à se résigner à sa propre mort.

En quittant le Mixed-Up, Manon a agi en gentleman avec son amie qui vomissait. Elle s’est fait aider par un petit blond ramassé sur la piste de danse. Ils ont chargé Laetitia dans le char du petit blond. Ils ont roulé les fenêtres ouvertes pour laisser entrer de l’air frais. Manon tapotait les mains de Laetitia gémissante. Elle s’est promise d’oublier les détails humiliants. Au feu rouge, Laetitia faisait des grands jets de bile dans les bancs de neige. Manon l’a portée jusqu’à son lit. Elle l’a forcée à boire un verre d’eau et à prendre une pilule de Panacée. Elle l’a bordée en plaçant un plat à vomi sur sa table de chevet. Elle est allée ensuite dans un motel pour s’amuser avec le petit blond. Manon est rentrée chez elle juste à temps pour pouvoir s’inviter à déjeuner chez son oncle. Claude était déjà attablé avec sa compagne Norberte.

Les noms portent un destin. Ils décident qui sera une gérante de caisse populaire et qui sera le fils préféré de sa mère. Certains noms sont des destins explicites. Il y a des noms d’arbres à ombre rafraîchissante, des noms de voyages, des noms protégés par l’Église. D’autres noms sont des destins cryptés. Le nom de Norberte ne contenait aucun programme d’avenir identifiable. Il avait agit sur elle comme une maladie d’enfance : il l’avait obligée à prendre douloureusement conscience d’elle-même. Quand elle était au couvent, ses amies cherchaient des maris riches. Norberte, elle, savait que ce qu’elle aimait était le travail. Elle était née dans une banlieue hérissée de clochers à étoiles rouges et de pensionnats construits dans le style stalinien. Sur un plateau derrière les clochers se trouvait un aéroport.

Norberte avait d’abord été la secrétaire d’un avocat qui avait des intérêts dans des compagnies minières. Pour favoriser ses affaires et se donner du prestige, il était consul pour des îles diamantifères. Norberte s’occupait de faire des passeports et de traiter les documents qui arrivaient par le courrier diplomatique. Un été pendant qu’elle était en vacances, l’avocat avait dû régler lui-même des affaires consulaires. Il connaissait mal les dossiers. Il s’était trompé dans ses documents. Un haut fonctionnaire d’une île des Caraïbes l’avait appelé pour lui signifier son inquiétude. Cette île avait connu des troubles quelques temps plus tard. Des files de ressortissants s’étaient formées devant le bureau de Norberte. Elle avait réglé des problèmes délicats. Elle assurait l’intérim du pouvoir pendant les troubles.

Norberte avait une excellente réputation. Elle avait été recrutée par le parti libéral pour organiser le mouvement des Cécile. Les Cécile étaient des femmes au foyer fédéralistes. Au retour au pouvoir des libéraux, le premier ministre avait nommé Norberte responsable de son protocole. Elle avait surpris une nouvelle élue qui quémandait à un caméraman de lui montrer comment faire pendant qu’il la filmait. La députée voulait recommencer la prise. Le caméraman lui avait dit de ne pas s’en faire, que de toutes façons à la TV, elle aurait l’air d’être grosse. Norberte était l’autorité que commandait la situation. Elle avait pris l’élue à part et lui avait expliqué qu’il fallait qu’elle fasse preuve de réserve.

Pendant cinq ans, Norberte avait supervisé la vie quotidienne du premier ministre. Elle veillait à ce qu’il puisse boire un verre de lait chaque matin. Elle gardait aussi son horaire pour qu’il puisse nager. Pour la plupart des gens, la natation peut être remise à demain, surtout si on a un conseil des ministres à présider. Ce premier ministre détestait devoir dire non. Il perdait patience quand on ne le comprenait pas à demi-mot. Norberte était indispensable. Mais elle s’épuisait. Son mari était mort à cette époque. Comme le premier ministre, le mari de Norberte faisait du sport à tous les jours. Mais il ne nageait pas : il faisait du bodybuilding. Et il savait dire non. En réalité, il était fait pour mourir à la guerre. Mais cette curieuse société impose aux hommes de mourir dans leur lit, comme des femmes. Le mari de Norberte avait lancé une compagnie d’appareils de musculation. Il avait emprunté des attitudes à ses fournisseurs américains. Il jugeait les défaillances d’autrui comme si lui-même jouissait d’une prédestination. Il se déplaçait vite dans des larges véhicules et il mangeait de la viande, et aussi des suppléments alimentaires qu’il vendait. Une maladie des yeux l’avait obligé à rester immobile. Il avait craint de perdre ses muscles et d’être gagné par la vieillesse. Il était mort à 43 ans, exactement le double des années que les astres avaient décidé pour lui. Il avait laissé à Norberte son fils Gary, qui gâchait l’existence de sa mère. Manon plaisait à Norberte. Elle la comparait avec Gary et constatait que cette jeune fille ne ressemblait nullement à un veau.

Sur la table du déjeuner chez Claude il y avait des croissants aux amandes qui fondaient dans la bouche, des confitures jaunes et des fromages puants que Norberte avait rapportés du marché Atwater dans son sac à main. Manon avait connu la pauvreté. Pour s’en protéger, elle avait pour principe de toujours dépenser le plus d’argent possible. Cette formule fonctionnait. Son patron à l’agence de voyage l’avait suppliée de ne pas partir. Il avait augmenté son salaire, il l’avait installée dans un bureau silencieux et lui avait donné accès aux forfaits voyage à tarifs préférentiels. Mais Manon ne concevait pas de dépenser de l’argent pour se nourrir avec des délicatesses. Du pain blanc avec du Cheez Whiz l’aurait contentée.

Claude et Norberte parlaient de politique. Ils avaient des opinions contrastées, Claude étant de gauche. Il avait déjà couché en prison dans sa jeunesse à cause d’actes motivés par ses opinions. À cette époque, il se tenait avec un nommé Jipi. Il l’avait connu à l’université. Par espièglerie, Claude et Jipi avaient adopté des codes d’amitié venus d’un autre milieu. Quand ils avaient été acceptés au doctorat, ils s’étaient fait dire qu’ils étaient désormais des intellectuels reconnus. Ils avaient ensuite végété, négligés par des directeurs de thèse qui les envoyaient faire leurs photocopies à la bibliothèque et qui les affamaient avec des salaires d’assistants que des secrétaires oubliaient de leur faire verser. Jipi et Claude étaient bien loin de ce passé. Jipi coulait maintenant une vie ponctuée de voyages d’étude.

Manon était hébétée par sa superbe nuit. Son silence et son sourire aimable augmentaient le plaisir qu’avaient Claude et Norberte en sa compagnie. Pour séduire un gars dans un bar, Manon pouvait parler en articulant avec le bout de ses lèvres, comme si elle croquait un fruit rouge. Mais elle contrôlait ses artifices. Elle n’était pas comme Jasmine : la minauderie n’était pas devenue sa seconde nature. Manon avait appris à tricher aux cartes avec sa grand-mère qui lui envoyait des messages codés quand elles jouaient en équipe. Manon s’amusait avec des compagnons de jeux qu’elle vouvoyait et elle riait de farces impénétrables aux membres de sa génération.

L’appartement dans le sous-sol chez Claude n’était pas conforme aux principes chinois de l’harmonie. Des meubles gardaient des traces de mauvaises habitudes de l’ancien locataire. Manon avait ramené d’autres sources d’encombrement: une lampe en poussière héritée de Mida, décorée avec des aigles en pâte de verre, et un miroir qui traitait Manon de grosse les lendemains de veille. Manon s’est déshabillée. Elle a observé sa peau verdâtre: «mais que c’est que les gars peuvent ben me trouver?»

Sur le coup de midi, Manon a atterri au pays des rêves dans un DC3 de Trans-Canada Airlines. Elle portait un manteau de zibeline et du rouge à lèvres qui tache les dents. Un chauffeur l’attendait. Il l’a conduite en limousine jusqu’à la maison d’Édouardina Dupont, l’amie d’enfance de Mida. Une table à nappe blanche était mise. Édouardina Dupont a servi Manon avec sa théière en argent. Comme dans les autres rêves, elle s’est mise à parler de son fiancé mort à la guerre. « Il m’avait promis que si il mourrait, il m’enverrait des signes d’amour depuis l’au-delà.» Pendant le restant de la guerre, Édouardina avait attendu. La poussière s’accumulait sur la photo du fiancé. Édouardina essayait de décoder des messages. Elle avait fini par comprendre que les morts ne peuvent pas envoyer de messages, puisqu’ils sont morts.

Édouardina avait une agence de recouvrement. Elle retenait le nom de ses clients. Elle réussissait à collecter des dettes insolvables. Les notables s’assemblaient chez elle : des prêtres, des docteurs. Ils oubliaient presque qu’ils étaient chez une femme et qu’en plus cette femme n’était pas mariée. Elle avait un statut privilégié de quasi veuve de guerre. Les curés et les docteurs s’échangeaient des points de vue. Un des curés organisait des camps pour redresser les jeunes. Quelques-uns des médecins s’occupaient des cas irrécupérables qu’il fallait retirer du corps social pour l’assainir.

Manon s’est réveillée avec de la fièvre. Elle s’est traînée jusqu’à la télévision. Un vidéoclip montrait une fille qui faisait des combats de karaté. Elle se transformait en dessins animés pour ses meilleures passes. Des dessins animés de style japonais, des mangas. La chanteuse s’appelait Yumei Dream. En japonais, yumei signifie célébrité, et se prononce you may. You may dream. Tu peux rêver. Manon souffrait de ses douleurs musculaires en la regardant se trémousser. 

L’ancien locataire avait laissé des livres dans la bibliothèque encastrée du salon. Manon a ouvert une méthode pour apprendre une langue à un chapitre où il était question de la construction dative. Le datif est un cas de déclinaison. Manon savait déjà que dans plusieurs langues, les mots prennent des formes différentes selon leur fonction grammaticale. Le datif est le cas qui sert à exprimer ce qu’on ressent. On dit en datif, à moi c’est froid. À moi, c’est le mal de tête, à moi, c’est le mal au dos.

Les dons de Manon pour la grammaire lui valaient d’être le chouchou de madame Cicciolini, le professeur d’espagnol. Quant à Laetitia, madame Cicciolini lui a dit qu’elle avait sûrement appris ses bases d’espagnol avec des Mexicains. Venant d’une Argentine, ce commentaire n’était pas un compliment. Laetitia n’était pas habituée à être surpassée, mais elle était honorée de reconnaître les talents de sa sœur d’armes. Elle pouvait d’ailleurs s’enorgueillir de s’être distinguée auprès du terrible professeur de littérature. Ce professeur attaquait les mauvais plis de ses étudiants en leur interdisant l’usage du passé simple. Or Laetitia a écrit des « fut » dans une dissertation, et même des « fût » avec accent circonflexe, et le professeur de littérature ne lui a pas enlevé de points.

Le pavillon des sciences humaines du cégep Crémazie est celui du célèbre ancien collège, qui a survécu à cinq incendies et à cent soixante-deux rentrées. Ses planchers en bois craquent, mais ils sont encore pleins de sève. Un tunnel en béton suintant relie les voûtes du vieux bâtiment au pavillon des sciences de la nature, construit en 1970. Laetitia et ses amis évitaient ce pavillon. Le Carrefour où ils préféraient rester est l’ancien réfectoire, une salle avec des colonnes ornées de guirlandes en plâtre. Là se tiennent les matchs d’improvisation et les partys. Au temps du cours classiques, des étudiants et des abbés avaient écrit un drame inspiré du roman Les Anciens Canadiens. Les étudiants s’étaient costumés pour jouer leur drame à la lueur des chandelles. L’auteur des Anciens Canadiens avait fait une visite surprise pour la représentation. Il sortait de prison pour dettes. De ces temps anciens, le Carrefour gardait une citation de Sénèque peinte en latin sur un panneau de bois.

Louis-Olivier Éthier-Saint-Aubin a trouvé la citation de Sénèque dans le grenier du collège et l’a clouée sur un mur entre des affiches célébrant l’anarchie. Dans les bonnes familles, les rares enfants portent deux prénoms et deux noms de familles pour montrer les aspirations qu’ils concentrent. Les noms compliqués servent de signal aux enseignants et aux autres dispensateurs des grâces sociales : c’est sur ces enfants-là qu’il faut consacrer ses efforts.

Louis-Olivier était responsable avec Jacinthe Tétrault du comptoir à café autogéré du Carrefour. On voyait à leur dégaine que ces deux amis étaient des méridionaux. En moyenne annuelle, il n’y a pas moins de 3 degrés de différence entre Sainte-Thérèse et la vallée du Richelieu. Les résidants de la Rive Sud en sont profondément marqués. Ils bronzent facilement et à la fin de leur vie, ils prennent la route de la Floride. Grâce à son climat, la Montérégie est aussi le pays le plus fertile de la plaine de Montréal. Le long des boulevards de la métropole, des magasins en néon vendent les nourritures fabriqués sur les grasses terres de la Rive Sud. Une autre Cité Radieuse s’étend en Montérégie, entre Varennes et Châteauguay. Elle est plus vaste et plus formidable encore que la Cité Radieuse de la Rive Nord.

Dans le cours de communications médias, c’est avec Keven Landry que Louis-Olivier s’est mis en équipe. Keven était un rescapé du Séminaire Marquette. Avec Louis-Olivier, il a tourné un vidéo mettant en vedette Jacinthe. Jacinthe cachait sa timidité derrière des airs de froideur. Elle avait eu une aventure avec un nommé Mauricio qui lui avait dit avec un ton plein de désarroi: «J’aurais aimé ça sentir si tu as aimé ça». Mauricio avait un accent terrible. Comme à chaque fois qu’il parlait, il avait fallu que Jacinthe médite longuement ses propos pour parvenir à les comprendre. Après la baise médiocre, son temps d’hésitation avait passé pour du détachement. Elle avait essayé une réponse dans son espagnol poli et Mauricio avait senti la confirmation de l’indifférence de la jeune fille.

Le film de Louis-Olivier et Keven était une suite de scène de genres. Jacinthe y incarnait le visage d’une tyrannie. Son faciès impassible servait à aider le peuple à ne jamais oublier l’Autorité. La première partie du vidéo était un film de propagande. Jacinthe était la personnification de la Sagesse. Elle était habillée en Vierge Studieuse et elle tournait les pages d’une encyclopédie. Les jeunes avaient tourné cette scène parmi les colonnades et les bustes de grands hommes au grenier de la bibliothèque du cégep. Une musique classique jouait pendant que défilait un ruban de sous-titres vantant les vertus de l’Idéologie. Louis-Olivier et Keven avaient entrecoupé cette scène d’images de répression policière. Dans une autre scène, une foule habillée à la mode se pressait dans un bar. Tous les espaces de ce bar étaient couverts par des écrans géants montrant le visage de Jacinthe. Elle avait l’air d’un portrait de la reine sur les monnaies. Elle cautionnait les activités humaines, invisible à force d’être omniprésente. La trame sonore de la scène du bar était particulièrement soignée. Louis-Olivier, Keven et Jacinthe ont montré le film dans un événement étudiant. Ils ont eu la chance de passer tard alors que la foule était réchauffée. Le film avait du rythme. Les spectateurs l’ont aimé. Sous les hourras, Jacinthe a gardé son masque de majesté et d’indifférence.

Jacinthe parlait un peu pointu. À l’école secondaire, son père le docteur Tétrault avait d’abord envisagé de l’envoyer dans un couvent, puis il s’était ravisé en pensant aux niaiseries religieuses dont sa fille risquait de se faire bourrer le crâne. Au collège fréquenté par le futur docteur, les cours de religion étaient chahutés. C’étaient les premiers temps de la catéchèse moderne. Le cahier d’activités en catéchèse figurait le voyage spirituel comme un voyage intergalactique. Les héros visitaient une planète déshumanisée parce que ses habitants lisaient trop. Ils étaient si savants qu’ils avaient perdu le sens des valeurs du cœur. Dans le dernier module du cahier, le secret du vaisseau spatial était révélé : son nom Ecnailla signifiait Alliance, épelé à l’envers. Un seul professeur savait maintenir l’ordre dans les cours de religion: un Congolais, qui inspirait de la terreur aux élèves. Il leur faisait chercher les passages de la Bible où ils pouvaient lire les interdits sexuels. Quand le texte n’était pas assez explicite, le professeur recommandait à ses élèves de prier l’Esprit-Saint pour qu’il les éclaire.

Le docteur Tétrault avait finalement choisi pour sa fille le Lycée, qui était accrédité pour offrir le programme du Baccalauréat français en plus du Diplôme d’Études Secondaires. Jacinthe avait évité les prières et la catéchèse. Mais le Lycée imposait des normes vestimentaires strictes. Pour montrer leur désinvolture, les étudiants bariolaient leur sac à dos avec des logos de groupes de musique. Ils s’adressaient aussi à leurs professeurs en anglais. La plupart d’entre eux habitaient la Cité Radieuse. Ils avaient commencé à être scolarisés dans des garderies. Ils avaient développé leur instinct grégaire. Quand l’un d’entre eux s’engageait pour traverser la rue, tout ceux qui l’accompagnaient le suivaient sans regarder le trafic pour eux-mêmes.

Durant sa première année au Lycée, Jacinthe se laissait impressionner par ses camarades. Elle voulait se faire amie avec les filles les plus cyniques. Elle parlait à d’autres filles. Pour attirer l’attention de ses vraies interlocutrices, elle gardait la voix basse. Sa technique avait fonctionné. Elle s’était liée avec le gratin. Jacinthe avait risqué gros. Ses tentatives pour plaire auraient pu faire d’elle une intouchable ou un faire-valoir.

À partir du secondaire III, les étudiants du Lycée avaient la permission de sortir. Ils allaient au casse-croûte en face, où ils pouvaient porter un regard extérieur sur la société qui les entourait. Jacinthe avait commandé un spécial du jour avec une liqueur. Éliane Legros l’avait traitée d’alcoolique en riant. Éliane avait le créole haïtien comme langue maternelle. Au début de ses études universitaires aux HEC, elle allait clamer que son lieu de résidence était Westmount adjacent. Jacinthe se tenait aussi avec Marie-Ève Lachance, une fille de Brossard qui détestait son nom. Pour compenser, elle parlait presque toujours en anglais. Elle s’était mise en secondaire V à commenter la politique. Elle avait repris l’appréciation de ses parents sur l’arriération de la société québécoise. Ses parents avaient souvent reçu à souper un ami qui était professeur invité d’urbanisme à l’Université McGill. À la fin de son séjour, il avait publié un livre sur ses plus récentes observations : le Vieux-Québec avec son air de Moyen-Âge attardé, la vibrante intersection Peel et Sainte-Catherine. Quant aux monuments sur les campus, il préférait les bustes aux sculptures modernes, qui avaient l’air de pièces détachées. Ce professeur était rentré à Philadelphie en des temps d’agitation indépendantiste. Pour étoffer ses jugements, Marie-Ève racontait le racisme ordinaire que subissaient les gens d’autres origines dans les quartiers québécois pure laine.

Depuis l’école primaire, Jacinthe était la meilleure amie de la cousine de Louis-Olivier. Elles échangeaient des secrets et se donnaient l’exemple l’une à l’autre. La cousine avait invité Jacinthe une fois à une fête de famille où se trouvait Louis-Olivier. Louis-Olivier et Jacinthe s’étaient parlés de musique. Louis-Olivier aimait les voix mielleuses des loreleis celtiques. Il avait aussi plusieurs pistes de muzak, pareille à celle qui joue au supermarché. Mais ce qu’il préférait était la musique française.

Une remise derrière la maison servait à entreposer les vieilleries. Les dimanches de pluie, Louis-Olivier ouvrait les boîtes moisies. Il avait trouvé des coupures de journaux. La famille du grand-père annonçait ses départs en vacances dans le Clairon de Saint-Hyacinthe. Les départs se faisaient après la Saint-Jean Baptise. Les pères amenaient leurs enfants à cette fête pour voir la kermesse et les feux d’artifice. Une autre boîte contenait des films super-8. La pellicule montrait le père de Louis-Olivier enfant en train de pousser d’autres enfants dans l’eau, ou de revenir de la plage avec une grosse écrevisse. La boîte « disques Bernard » était plus récente. Des amis du père de Louis-Olivier l’avaient transportée dans un escalier extérieur, puis ils s’en étaient servis comme table pour manger de la pizza et boire de la bière. La boîte avait été oubliée ensuite, de nouvelles musiques faisant oublier les anciennes. Louis-Olivier avait réclamé un tourne-disque pour entendre les vieux trésors. Son préféré était Boris Vian, surtout la Java des bombes atomiques. Il avait essayé de faire jouer cette musique devant d’autres jeunes, dont sa cousine. La cousine lui avait dit qu’il écoutait de la musique pas rapport.

Louis-Olivier s’était senti compris par Jacinthe. Il s’était laissé aller à des confidences. Il avait dit combien il trouvait ses cousines insignifiantes. Il avait hâte d’être indépendant pour pouvoir liquider de sa vie les liens inutiles. La manœuvre lui paraissait simple : il croyait que les adultes peuvent se dispenser des fêtes de famille. Louis-Olivier avait apprécié que Jacinthe ne prenne pas la défense de son amie la cousine. Louis-Olivier et Jacinthe s’étaient entendus pour aller boire ensemble une bière à la Vieille Marina.

Louis-Olivier venait de passer son permis de conduire. Il est allé chercher Jacinthe en auto. Il s’est fait remarquer par Édith, la mère de Jacinthe. La mère et la fille revenaient de la Pizzalita. Elles mangeaient presque tous leurs soupers à l’extérieur. Louis-Olivier était épaté de la chance qu’elles avaient de tant sortir. En fait, Édith refusait de cuisiner des repas familiaux. Face aux illusions manifestées par Louis-Olivier, elle lui a expliqué que les amis finissent toujours par se perdre de vue.

Édith vivait d’une pension alimentaire médiocre. Jacinthe habitait avec elle en femme riche parce qu’elle jouissait sans remords des pleines largesses de son père. Édith ne s’était jamais consolée de ce que son mari l’avait laissée. Peu après leur mariage, elle avait compris qu’elle n’aurait jamais d’exclusivité sur lui. Quand elle n’avait pas envie de sortir et qu’elle le laissait partir tout seul, elle sentait qu’il était soulagé. Elle avait entrepris de se détacher en se promettant de partir quand Jacinthe serait assez grande. Mais le docteur Tétrault l’avait prise de vitesse et il l’avait quittée pour une autre femme. Avant de rompre, il avait fait un voyage avec Édith, pour profiter une dernière fois de sa tendresse et de son vagin. Elle avait cru à un renouement, puis elle avait su qu’elle était déjà trahie. Il était certain que plus jamais on ne lui ferait le coup du feu d’artifice d’adieux. Elle ressassait chaque jour un souvenir haineux de son ancien mari, pour se rappeler comment il était mesquin et lâche.

Jacinthe vengeait sa mère. Elle arrivait en retard. Elle avait des factures chères à faire payer la veille de leur échéance. Si son père avait une conférence à Orlando, elle faisait des pressions sournoises pour se faire inviter. La nouvelle épouse renonçait au voyage. La secrétaire de la clinique prenait des arrangements pour faire bénéficier Jacinthe des privilèges des conjoints. Après quelques téléphones en anglais, son père en personne lui obtenait un badge VIP avec accès à Disneyworld. Puis, à la toute dernière minute, Jacinthe renonçait à partir avec des alibis mesurés et un air ferme de fille qui ne songerait jamais à créer des problèmes.

Le docteur Tétrault était un ophtalmologiste. Ses collègues le craignaient et le haïssaient. Il ramenait de ses voyages de l’armagnac qu’il gardait pour lui. Il remplissait la bouteille vide avec du mauvais scotch qu’il servait à ses invités. Pour mieux pouvoir les mépriser, il leur faisait admirer l’étiquette et il leur racontait des histoires sur le producteur où il allait se fournir dans le Gers. Il se plaignait de ce qu’on ne trouvait pas de qualité ni rien d’authentique à Montréal. Dans son métier, il fallait souvent qu’il opère des patients réveillés, qui le guidaient pendant qu’il ouvrait leur œil anesthésié.

Quant à Louis-Olivier, il habitait à Saint-Hubert. Il avait une sœur plus vieille, Caroline, qui était dégourdie pour son âge. Quand elle rentrait le dimanche matin, Louis-Olivier s’amusait à lui demander où elle avait passé la nuit. Leur père disait à Louis-Olivier de se mêler de ses affaires. Caroline se démaquillait, puis elle allait se coucher. Elle laissait sur l’évier des faux cils gluants et des kleenex aux taches multicolores.

Parfois, Caroline monopolisait l’attention. Elle s’était affamée pour maigrir quand Louis-Olivier était en secondaire IV. Une ambulance l’avait cueillie le soir du gala méritas à l’école de Louis-Olivier. Les parents s’étaient précipités à la clinique pour se faire infliger des conseils par le psychiatre. Dans la salle des fêtes de son école, Louis-Olivier était monté plusieurs fois sur la scène pour cueillir les beaux fruits de son zèle. Mais personne n’était dans la salle pour l’embrasser. Il était rentré chez lui en taxi avec ses livres neufs sous les bras. Ses parents savaient à l’avance combien il brillerait. Ils lui avaient préparé une table pour l’accueillir. Devant son assiette, ils lui avaient laissé une belle carte de félicitations représentant une vue en noir et blanc de New York. Les larmes étaient montées aux yeux de Louis-Olivier en la lisant dans la salle à manger déserte. Avant de partir à la clinique, les parents avaient mis le souper de fête dans le frigidaire. C’était du poisson à la sauce. Louis-Olivier l’avait fait réchauffer dans le micro-ondes. Il l’avait mangé tout seul en feuilletant ses livres. Celui qui lui donnait les plus délicieuses larmes d’amertume était son prix de latin. Ce livre était une anthologie publiée pour célébrer l’Europe à l’occasion de son élargissement. Les textes en latin étaient suivis de commentaires en langue vulgaire sur la vie des auteurs et sur les événements qui arrivaient alors dans l’Empire: l’éruption du Vésuve, la guerre des Gaules, la conjuration de Catilina. Le professeur de latin avait commandé ce livre expressément pour Louis-Olivier. Des élèves de son école portaient des drapeaux du Québec ou du Canada collé sur leur sac à dos. Louis-Olivier aurait voulu en porter un de l’Empire romain. Heureusement, ce type d’emblème n’existait pas dans l’antiquité.

C’est Caroline qui aurait dû se retrouver seule cette journée là avec son insignifiante anorexie. Louis-Olivier avait fait une visite de dépit dans sa chambre. Il avait trouvé son journal intime. Il avait lu quelques pages. Elle faisait des fautes. Caroline racontait son immersion en anglais l’été précédent. Elle avait été dans un camp de luxe en Ontario. Elle avait fait de l’équitation. Les parents étaient venus la chercher à la mi-août. Caroline s’était donnée un petit accent et elle répondait à ses parents avec beaucoup de mots anglais. Sur une route de campagne, ils avaient pris un jeune qui faisait du pouce. Les parents de Caroline voulaient lui montrer comment eux aussi ils se débrouillaient bien en anglais. Le passager s’était assis en arrière avec Caroline. Elle avait fait semblant de s’endormir. Elle l’avait frôlé. Le passager avait fait semblant de s’endormir lui aussi pour jouer avec elle. Louis-Olivier soupçonnait sa sœur d’avoir écrit un fantasme. Il n’avait jamais vu ses parents prendre quelqu’un sur le pouce. Depuis ce voyage, Caroline était restée celle qui était bonne en anglais. Elle avait des conversations au téléphone avec des boyfriends du West Island ou des touristes qu’elle avait rencontrés dans des bars.

Dans leur quartier de Saint-Hubert, il y avait beaucoup d’enfants. Plus jeune, Louis-Olivier se faisait de l’argent de poche en les gardant. Il allait chez ses voisins après le souper le samedi soir. Quand les parents partaient, Louis-Olivier jouait avec les enfants, puis il les couchait. Il savait appuyer son autorité sur celle des grandes sœurs. Quand les enfants dormaient, il s’installait devant la télévision. Il écoutait des vieux films. Dans l’un d’antre eux, Elizabeth Taylor y jouait une femme qui prenait des taxis. Elle faisait des courses chez Harrod’s puis elle flirtait pour se délasser. Pour se débarrasser d’une rivale, elle semait le doute sur ses mœurs. Dans la plupart des scènes, il pleuvait. C’était l’hiver. Louis-Olivier avait oublié la douceur de la pluie. Au début mars, il en était aussi à son cinquième mois incolore. Après le film avec Elizabeth Taylor, un documentaire estival avait été montré. Louis-Olivier avait reconnu Saint-Hyacinthe. Dans les scènes extérieures, on voyait des feuilles d’un vert éblouissant, et aussi des fleurs rouges sur les parterres.

Une fois par heure, Louis-Olivier faisait une tournée pour s’assurer que les enfants dormaient bien. Il passait par la cuisine, où on lui laissait des collations. Il explorait ensuite les bibliothèques. Des parents avaient des collections de Sélection de Reader’s Digest, des bandes dessinées ou des romans d’espionnage. Le client le plus régulier de Louis-Olivier était policier. Il avait une série luxueuse reliée cuir sur les atrocités nazies : un livre portait sur les médecins de la mort, un autre sur les unités spéciales, deux sur les camps. Louis-Olivier s’assoyait sur le tapis et plaçait les livres sur la table à café. Il les feuilletait en changeant les postes de la télévision avec la télécommande. Il mangeait sa collation. Louis-Olivier aimait garder. Il pouvait passer une soirée à veiller sans avoir à se trouver quelque chose à faire.

Un soir, le policier et sa femme avaient tardé à rentrer. Le film Barbarella jouait en programme nocturne. Jane Fonda y incarnait une exploratrice de l’espace court vêtue. Dans une scène, elle se faisait piéger par l’Esprit du Lac. L’Esprit lui laissait le choix entre se faire absorber dans sa substance, ou tenter de s’échapper par des portes derrière lesquelles des morts atroces l’attendaient. Le policier et sa femme étaient très saouls quand ils étaient finalement rentrés. La femme avait eu de la difficulté à compter les billets de banque et à les sortir de son porte-monnaie pour payer Louis-Olivier. Le jeune garçon ne savait pas encore identifier l’odeur de l’alcool ni expliquer ses effets. Le policier s’était intéressé à la vedette en déshabillé à fourrure. Il avait fait des farces douteuses qui avaient mis Louis-Olivier encore plus mal à l’aise. Le policier s’était décidé à aller le reconduire. Un peu avant d’arriver à destination, il avait arrêté sa voiture et dit à Louis-Olivier qu’il voulait lui montrer quelque chose. Il lui avait pris la main et il lui avait fait tâter son pénis. Louis-Olivier avait enlevé sa main et il était sorti de la voiture. Il avait déjà vu des dramatiques à la télévision qui lui avaient appris des concepts utiles sur les problèmes de société. Abus. Inceste. Prostitution. Il connaissait tout cela et plus encore. Il devait être en mesure de comprendre ce qui lui était arrivé. Il avait cessé de répondre aux appels des parents. Plus jamais il ne voulait faire des jobs de filles.

Louis-Olivier avait compris que le piège tendu à Barbarella par le Lac était la Vie. Les portes que l’exploratrice avait le choix d’ouvrir étaient l’Avenir. Derrière une de ces portes se trouvait la Vieillesse, derrière une autre porte se trouvait la Maladie, et derrière une autre encore, la Solitude. L’esprit maléfique du Lac était quant à lui la Mort, qui allait prendre Barbarella peu importe lequel des avenirs elle choisirait.

Au début de son cours secondaire, Louis-Olivier avait eu un confrère qui dînait en face de lui à la cafétéria. Le confrère avait toujours avec lui des objets énervants. Il avait son téléphone cellulaire pour montrer qu’il aimerait mieux se trouver en meilleure compagnie. Il traînait aussi une caméra numérique, qu’il utilisait pour confronter Louis-Olivier à son image. Le compagnon choisissait ses moments pour photographier. Il était pervers. Il forçait Louis-Olivier à voir comment il ressemblait à un héron en fuite ou à un phoque en chaleur.

Il manquait à Louis-Olivier des informations vitales sur le monde parce qu’il se faisait déplacer en auto. L’hiver, son père sortait le premier. Il démarrait le moteur et il dégivrait des petits espaces de visibilité dans les fenêtres. Quand l’habitacle commençait à chauffer, les enfants sortaient de la maison et s’assoyaient sur le banc arrière. En secondaire III et IV, Louis-Olivier allait parfois tout seul au mail Champlain. Il aimait la boutique urbaine, celle qui vendait des accessoires trash. Il avait parlé une fois avec la femme qui faisait les piercings. Il l’avait questionnée sur les boucles d’oreilles. Elle lui avait expliqué que pour certaines personnes, une boucle d’oreille à droite sert encore à indiquer qu’on est gai, et qu’une boucle d’oreille à gauche sert à indiquer qu’on est hétéro. Louis-Olivier était sorti de la boutique dégoutté. La femme l’avait convaincu qu’il fallait détruire toutes les boucles d’oreilles.

En secondaire V, Louis-Olivier avait participé au Grand Concours de Dictée. Dans les rondes de classifications, il avait surpassé tous les élèves de son collège et aussi les quelques professeurs qui s’étaient prêtés au jeu. Au concours régional, Louis-Olivier avait fait seulement 24 fautes à la dictée de Mérimée, ce qui lui avait valu l’honneur de représenter la Montérégie au concours national.

Plus Louis-Olivier étudiait l’orthographe, plus il trouvait le français dégénéré. Une langue sans déclinaisons, qui affuble les mots d’un ridicule attribut sexuel. Masculin. Féminin. Le chrysanthème. La pomme. Le pomiculteur. Un imbécile. Une imbécillité. Des mots inutilement compliqués mais toujours pareils qu’ils soient des compléments, des sujets, des lieux, des agents ou des circonstances. Du latin pourri, en voie de disparition.

Cette année-là, le Concours de Dictée avait sa finale à Québec, dans l’amphithéâtre d’une bibliothèque. Les finalistes logeaient dans un hôtel qui recevait d’habitude des skieurs ontariens. Les jeunes liseurs s’étaient découverts avec ravissement en plein groupe d’autres jeunes qui leur ressemblaient. Comme les skieurs ontariens, les finalistes du Concours de Dictée avaient fait des partys nocturnes dans les chambres de l’hôtel. Le Concours était télédiffusé. Pour pimenter le spectacle, la télévision éducative présentait des portraits sympathiques des concurrents. On avait vu Louis-Olivier, champion de la Rive Sud, et aussi Mélanie Godefroy, sensation du couvent des Ursulines, qui représentait Québec. Dans une chambre pleine d’ambiance du douzième étage de l’hôtel, Louis-Olivier s’était lié avec Mélanie. Il la considérait comme son seul adversaire sérieux. Les jeunes finalistes avaient échangé dans un corridor le premier baiser avec la langue de leur vie. Au moment de la compétition, ils s’étaient talonnés. Mais seul Louis-Olivier s’était classé pour la finale mondiale du Concours, qui devait se tenir à Lille.

Louis-Olivier partait tout seul en Europe pour six longues semaines. Son père avait été le reconduire à l’aéroport. Pour se protéger des terroristes, ils étaient arrivés longtemps en avance. Le père et le fils avaient eu du temps à tuer dans les boutiques chères du terminus international. Louis-Olivier avait déjà son lecteur de MP3 et des livres pour s’occuper dans l’avion. En surplus, son père lui avait acheté un Lucky Luke. Ils s’étaient assis devant un chocolat chaud et ils avaient parlé d’avions. Après une heure sur ce sujet, ils ne savaient plus quoi se raconter. Louis-Olivier sentait déjà dans sa gorge le serrement de l’absence. Il allait lire et relire avec nostalgie le Lucky Luke pendant son voyage. La bande dessinée racontait comment les Dalton s’appropriaient un village. Ils invitaient les desperados pour une fête dans le saloon. La chanteuse appelait tout le monde beau brun, mais elle était mariée avec le pianiste. Les airs qu’elle interprétait racontaient comment des filles de l’Est rencontraient des gars de l’Ouest. Ses girls dansaient le french cancan.

Au Terminal 4, Louis-Olivier avait appris qui il était. T4 est le carrefour mondial de toutes les routes aériennes. Les passagers qui transitent à T4 doivent se séparer en deux files : la file des Européens, et les autres. Avec horreur, le jeune homme avait compris quelle était sa place dans la mauvaise file des Non-Européens. Le douanier avait regardé ses papiers avec indifférence.

Plutôt que d’habiter ensemble à l’hôtel, les finalistes internationaux du Concours de dictée étaient pris en charge par des familles. Les jeunes et leurs hôtes avaient fait connaissance au cours d’un repas d’accueil. Il avait fallu rester assis au même endroit et parler aux mêmes convives pendant que les spécialités culinaires défilaient. La famille qui hébergeait Louis-Olivier avait une ferme. Elle fournissait des restaurants en fines herbes. Le père était Hollandais. Le fils s’appelait Jan et il avait le même âge que Louis-Olivier. Louis-Olivier s’était fait éliminer du Concours par des concurrents congolais. Il avait pu partir avec Jan et son père faire la tournée des clients en Renault.

Ils étaient passés par Nantes, où Jan avait des cousins asociaux qui squattaient dans une ancienne usine de biscuits. Jan et Louis-Olivier étaient partis les voir en cachette, pendant que le père de Jan rencontrait des restaurateurs. Les cousins et leurs amis asociaux montaient des coups pour réveiller les citoyens. Ils avaient invité leurs jeunes visiteurs à tendre une embuscade avec eux dans le centre ville. Ils avaient installé sur le trottoir une vitre volée dans un chantier. Le cousin de Jan faisait semblant d’arroser les passants. Il leur jetait un grand seau d’eau à la tête, mais la vitre les protégeait. Un des squatteurs filmait la scène. Il disait aux passants qu’ils venaient de se faire prendre dans une farce de la télévision. Il leur promettait un chèque et leur faisait signer un faux formulaire de décharge de droits. Les passants empochaient le chèque et riaient de bon cœur de leur effroi. Ils avaient le sens de l’humour. À d’autres passants, le squatteur disait qu’ils venaient de participer à un happening. Certains de ces passants-là étaient furieux. Les plus cultivés étaient flattés.

Louis-Olivier était fier de l’indépendance qu’il commençait à acquérir grâce à son voyage. Mais l’épreuve d’un séjour à La Haye allait lui rabattre le caquet. Des gens en apparence normaux, des oncles, des cousins, perpétraient les uns envers des brutalités continues : ils se parlaient en hollandais. Chez sa parenté paternelle, même Jan avait perdu son visage familier pour se livrer lui aussi à cette violence. Seules quelques vieilles tantes qui savaient du français pouvaient reprendre forme humaine pour s’adresser à Louis-Olivier. Avec les plus jeunes, la communication se faisait en anglais, ce qui n’était guère mieux, d’autant plus qu’à La Haye, on apprend la prononciation britannique. Les parents de Jan se demandaient comment ce jeune Canadien pouvait si mal maîtriser la langue mondiale.

Louis-Olivier était revenu d’Europe avec ses bagages remplis des dictionnaires de son prix de consolation. Dans l’avion, il avait rêvé qu’il était dans un chalet lointain. Qu’il était resté à l’intérieur pour bouder après une querelle avec sa soeur. C’était un rêve printanier, avec de la lumière éblouissante et une débâcle des glaces sur la rivière. L’eau montait. Montait. Louis-Olivier grimpait sur le toit du chalet vermoulu pour faire des signaux de détresse. « Sortez moi d’ici, je veux partir. » Le pilote de l’hélicoptère de sauvetage lui demandait son passeport. Canadien. « On peut rien pour toi, t’es plus  Européen, t’es perdu. »

Son statut d’initié à T4 donnait à Louis-Olivier la crédibilité voulue pour vendre du café au Carrefour. Les écoles secondaires où les cégépiens avaient gradué étaient des mondes fermés sur eux-mêmes. Les références au monde extérieur y étaient proscrites. Le cégep Crémazie au contraire était très cosmopolite. Les jeunes de toutes les Cités Radieuses se mêlaient. Au Carrefour, ils se racontaient des histoires pour connaître le monde entier par association. Ces jeunes voyaient commencer la longue suite d’aventures extraordinaires que serait leur âge adulte. Un gars avait fait presque mieux que Louis-Olivier : un an d’échange à San Diego. Il pouvait fournir des impressions de première main sur la Californie et justifier les vêtements de cuir dont il s’accoutrait. Selon une rumeur, cet étudiant avait transporté une arme de guerre dans son sac d’école. D’où son surnom : Viêt-Nam. Une autre habituée du Carrefour racontait pour sa part qu’elle avait fait son cours de conduite avec la chanteuse Chloé. Le portrait de cette future star était affiché dans toute la ville pour annoncer son album « Fais moi pas pleurer ».

L’invention de Chloé était l’œuvre maléfique de Mireille Doré, une chanteuse qui avait connu son succès toute jeune. Enfant, Mireille Doré avait été grassette et charmante. Elle avait un répertoire de ritournelles qui plaisaient aux mères autant qu’à leurs filles. Son meilleur succès avait été une chanson qui parlait d’oiseaux. Son agent l’avait mise en marché avec art. À l’adolescence et à l’âge adulte, elle avait continué à prendre du poids. Son filet de voix, déjà si plaisant chez la fillette, avait pris une belle ampleur. Elle avait aussi beaucoup d’entregent. Elle lançait moins de disques, mais on la voyait au petit écran, surtout à la télévision éducative, où elle animait des émissions pleines d’entrain et d’idées de bon ton. Il lui arrivait de vulgariser des lois qui concernaient les jeunes. Elle disait que la société parfaite n’existe pas. En entendant Mireille Doré, les jeunes pouvaient être certains qu’ils vivaient à tout le moins dans une société exemplaire. La carrière de Mireille Doré avait été ruinée par un scandale. Elle avait été condamnée pour une fraude. Des commentateurs l’avaient associée à la mafia. Elle avait évité la prison, mais pour son public, elle était discréditée. La télévision éducative ne voulait plus avoir son nom sur ses programmes.

Pour créer Chloé, Mireille Doré avait trouvé la nymphette la plus débile, avec la voix la plus stridente, celle qui dirait les pires énormités et serait prête à faire toutes les bassesses pour plaire. Elle lui avait fait décolorer les cheveux. Elle lui avait trouvé un genre vestimentaire décolleté et vert fluo avec du maquillage criard. Elle lui avait fait composer des chansons irritantes avec des mélodies accrocheuses. Elle la lançait maintenant avec le doigté que lui avait appris son agent. Chloé s’associait à des causes comme une teenager assoiffée de justice. Mireille Doré voulait que le public qui l’avait reniée soit envahi par l’insignifiance de Chloé, et que les filles qui seraient autrefois devenue responsables et décentes en l’imitant elle, aient maintenant l’air de putes finies en voulant faire comme Chloé.

Mais les cégépiens forts en thème représentaient une vigoureuse cohorte de jeunes qui avaient bénéficié de l’influence de Mireille Doré à sa bonne époque. Pour eux, la sex-symbol de l’heure était l’actrice Mylène Bellan, elle-même produit brillant et original de l’influence Mireille Doré. Mylène Bellan avait joué pour des cinéastes maudits et montré son style simple dans des téléséries intelligentes. Chloé l’avait croisée dans l’édifice d’une station de radio. Elle l’avait regardée de haut, convaincue qu’elle était d’être déjà devenue la Vedette qui n’accorde des entrevues qu’aux gros médias.

Pour se parfaire durant les partys, les cégépiens utilisaient quatre miroirs tendus dans des alcôves du Carrefour: un miroir masculin réservé aux gars, un miroir féminin réservé aux filles; et deux miroirs ambigus, un féminin pour les gars et un masculin pour les filles. La fermeture du Séminaire Marquette avait aussi donné corps au modèle du collégien sûr de lui, à cause des étudiants qui étaient venus de ce ghetto doré pour finir leur DEC à Crémazie. Gary Pincourt par exemple habitait un loft trash dans le vieux Montréal. Il sortait avec ses amis dans un bar avec des grandes fenêtres d’aquarium. Ils estimaient les gens d’après leurs biens. Mais ces rescapés du Séminaire Marquette étaient moins beaux que les autres collégiens parce qu’ils portaient des vêtements neufs. D’autres étudiants adoptaient des héros romantiques. D’autres encore subissaient l’attrait du style des marchands de drogue. La société accorde aux jeunes le droit à des errances, surtout si ces jeunes sont des étudiants. L’administration du cégep Crémazie fermait les yeux et les laissait fumer des joints dans un de ses escaliers.

Le Séminaire Marquette était presque aussi ancien que le cégep Crémazie. Son nom lui venait d’un prêtre jésuite qui avait le don des langues. Il avait évangélisé en algonquin et en abénakis. Il avait fini torturé par des Iroquois.

Autrefois, le Collège Crémazie et le Séminaire Marquette rivalisaient pour former les notables catholiques. Le Collège Crémazie avait une réputation libérale parce qu’il tolérait quelques écarts. Le Séminaire Marquette s’en tenait pour sa part à une stricte ligne ultramontaine : quiconque lisait un livre défendu était expulsé. L’implantation des cégeps avait changé la position des deux écoles. Les pères qui avaient fondé le Collège Crémazie avaient passé le relais à une administration laïque. Le Séminaire Marquette avait choisi pour sa part de s’accrocher à ses traditions. Grâce à sa réputation, il continuait à recruter des fils de bonne famille qui n’avaient pas d’assez bonnes notes pour aller au cégep anglais. Mais la clientèle stagnait et le niveau académique déclinait. Il avait fallu se résigner à admettre des filles. Celles qui avaient répondu à l’appel étaient des graduées de couvents. Elles avaient été tenues pendant cinq ans de porter des jupes à carreaux semblables à celles qu’on voit dans les films pornos.

Les prêtres du Séminaire Marquette vieillissaient dans l’aigreur. Les cinq dernières années avant le naufrage, l’abbé Groleau avait préservé son fauteuil de directeur. C’est lui qui avait créé l’option théâtre. Les étudiants jouaient des extraits de pièces dans leurs cours de français. Les meilleurs d’entre eux formaient la troupe amateur. Elle avait eu son triomphe en jouant Ionesco avec des masques de rhinocéros. C’était le tout dernier éclat du Séminaire en pleine décadence. La même année, des joueurs de l’équipe de football avaient présenté les Fourberies de Scapin comme travail de session en français II. Ils en avaient fait un enterrement de vie de garçon, avec des rôles travestis et des farces à sous-entendus.

Jusqu’à la dernière minute, les professeurs de philosophie du Séminaire Marquette avaient enseigné les vérités aristotéliciennes et thomistes. Un des derniers vendredis matin de sa carrière, le plus ancien de ces professeurs avait expliqué le progrès qu’avait constitué le passage du polythéisme au monothéisme. Les dieux des païens représentaient les forces secondaires de la nature, alors que Dieu est la cause première de tous les phénomènes. Keven Landry avait poursuivi le raisonnement : si se débarrasser de plusieurs dieux pour n’en garder un seul a été un progrès, se débarrasser du dernier dieu restant ne représenterait-il pas un nouveau pas décisif vers la sagesse? Le professeur avait répondu que sans Dieu, le monde devient obscur. Keven préparait une dissertation dans laquelle il démontrait que toute religion est fondée sur un blasphème patent : s’arroger le droit d’interpréter la parole de Dieu. Au temps de la gloire du Séminaire, une telle dissertation aurait valu à Keven une rencontre avec le préfet de discipline, un châtiment corporel et une expulsion. À l’ère du crépuscule, les échanges entre Keven et son professeur de philosophie passaient inaperçus. Les autres étudiants dormaient. Le vendredi matin au Séminaire Marquette servait à se remettre des beuveries du jeudi soir.

Les professeurs de psychologie du Séminaire Marquette étaient plus écoutés que leurs confrères. Ils racontaient des anecdotes cliniques et ils parlaient de sexe. Les plus vieux d’entre eux avaient été prêtres, mais ils avaient perdu la foi. Ils préféraient les preuves objectives. Ils avaient des arguments solides contre la sexualité non procréatrice, signe d’immaturité psycho-sexuelle. Un professeur qui faisait aussi de la clinique avait pour client un homme qu’il avait casé dans la rubrique paranoïaque de son système diagnostic. Le paranoïaque infligeait à sa malheureuse femme sa sexualité buccale-génitale. Il avait rempli sa maison des vieux journaux qu’il accumulait. On le tolérait à son travail par charité.

Les professeurs de philosophie reprochaient aux professeurs de psychologie la perte de prestige qu’ils avaient subi. Un professeur de sociologie faisait l’arbitre. Son credo à lui était le libéralisme. Il était satisfait quand chacun avait eu l’occasion de dire n’importe quoi. En fait, personne ne faisait attention à lui dans les réunions. Malgré leurs querelles, les professeurs de philosophie et les professeurs de psychologie étaient des alliés objectifs. Ils partageaient la même détestation pour l’option théâtre, qui leur semblait nuisible au sain épanouissement de jeunes adultes. Un étudiant qui voulait devenir acteur s’était suicidé aux gaz d’échappement dans le garage de ses parents. Chacun avait tenté d’expliquer son geste selon son credo. Un professeur de philosophie avait disserté sur les effets néfastes des idées existentialistes, et un professeur de psychologie avait discuté des tragiques effets de la démission des pères. La crise du suicide avait permis de faire dégommer l’abbé Groleau, qui était parti en exil à Rome. L’abbé Pilon avait été nommé à sa place. La baisse des inscriptions continuait, et malgré qu’on ait formellement interdit de parler de corde dans le Séminaire, il y avait encore eu des suicides. Le Séminaire Marquette était bien situé. Son terrain excitait la convoitise. Partout aux alentours, on pouvait croiser des gens étrangers à l’autorité des professeurs et de leurs doctrines: des Sikhs qui cuisaient des pains nans, des tatoueurs de bras musclés, des secrétaires qui s’achetaient une revue au dépanneur. L’abbé Pilon avait vendu le Séminaire à des promoteurs pour partir à son tour vers une mission espagnole en Californie.

Avant la semaine de relâche du cégep Crémazie, les murs du Carrefour se couvraient de publicité pour des voyages. Ces voyages étaient organisés par des étudiants dynamiques qui s’entendaient avec des agences. Les étudiants dynamiques s’occupaient du recrutement et du programme, ils collectaient les paiements et eux-mêmes s’embarquaient gratuitement. C’étaient des voyages sea sex and sun. Les meilleures années, la destination était Gran Padre Island, Florida, et le voyage coïncidait avec le spring break américain. Un kiosque promotionnel était installé dans le Carrefour. Un vidéo bruyant était montré. On voyait des jeunes en costume de bain faire une pyramide humaine sur la plage. La musique rythmée restait dans la tête des étudiants pendant leurs cours.

Mais pour les habitués du café autogéré, le seul voyage étudiant digne de mention était le voyage académique à New York qu’organisait le département des sciences humaines. Un noliseur spécialisé fournissait l’autobus. Les étudiants et leurs professeurs accompagnateurs logeaient dans un hôtel de Washington Square. Cet hôtel était tenu par un Syrien qui avait vécu à Montréal et qui traitait bien les groupes de Crémazie. Comme il était entendu que les participants au voyage académique étaient des jeunes qui se comportaient comme des citadins habitués à avoir des libertés, on les laissait faire tout ce que bon leur semblait, même si aux yeux de l’État de New York, ils n’avaient pas l’âge légal de la consommation d’alcool. Ils méritaient la confiance qu’on plaçait en eux : ils ne faisaient jamais trop de grabuge dans l’hôtel et ils rentraient assez tôt de leurs frasques pour participer aux visites didactiques dans le vieux Harlem ou à la Bourse de Wall Street.

Jacinthe était en retard sur Louis-Olivier et sur les autres habitués du Carrefour: elle n’avait pas encore voyagé seule. À l’époque où ses parents étaient ensemble, ils partaient en voiture vers les États-Unis. Ils faisaient des voyages sans destination. Ils évitaient les villes. Près de motels décorés, la famille visitait des parcs d’attraction et des villages historiques reconstitués. Le père de Jacinthe n’avait pas encore des goûts de luxe. Il était gêné par ses dettes d’études. Il était passé par l’épreuve d’une faillite avant de commencer sa carrière.

Jacinthe s’est inscrite au voyage académique à New York pour devenir une initiée. Louis-Olivier ne devait pas partir, mais il se chargeait de la préparer. Il avait tout lu sur New York. Louis-Olivier a invité Jacinthe sur le boulevard Saint-Laurent pour acheter le Village Voice l’avant-veille du grand départ. Il a proclamé que le boulevard Saint-Laurent ressemblait à New York. Dans le café à côté du magasin de revues, un DJ faisait jouer du house music dans un décor à motifs rectangulaires. Jacinthe était certaine d’avoir vu certains des clients à la télévision. Le serveur portait un t-shirt GI Joe trop petit pour lui. Jacinthe décodait en tremblant de joie tous ces présages qui lui révélaient ce que serait New York et ce que serait la liberté. Elle était à chaque jour plus amoureuse de Louis-Olivier, qui l’aimait bien mais n’était pas ému par elle.

Louis-Olivier expliquait à Jacinthe que New York est une ville européenne. Les gens y vivent dans des appartements et circulent en chemin de fer. Mais New York est toujours sûre   d’être en avance, contrairement aux villes d’Europe. Hollywood se nourrit de la culture populaire de New York, qu’elle simplifie et qu’elle caricature avant de la transmettre au monde entier. Les autres métropoles sont en retard parce que dans leurs rues on singe Hollywood au lieu de l’inspirer. Même à Londres, même à Paris, même à Milan. Tokyo et Hong-Kong sont peut-être des exceptions.

Et Montréal?

Louis-Olivier s’est tu un instant. Puis il s’est mis à parler des mœurs vieux jeu des New-yorkais. Ils sont quand même Américains. Beaucoup croient à la religion et au mariage. Surtout les très riches. Louis-Olivier a affirmé qu’il existe dans le New York Times des pages qui annoncent les bals de débutantes. Des filles y sont mises en vitrine pour se trouver des maris. Louis-Olivier a vu un de ces bals dans un film.

Jacinthe est partie pour New York avec un programme d’adresses préparé avec Louis-Olivier. Dans l’autobus des cégépiens régnait une ambiance survoltée qui ne plaisait pas à Jacinthe. Un groupe d’étudiants chantait. Jacinthe s’est assise à côté d’un garçon gras et malhabile nommé Thomas. Elle a partagé avec lui les dix heures de route.

Thomas s’y connaissait en voyages en autobus. En sixième année, il avait fait une classe neige. Les enfants avaient fait un jeu excitant dans la piste d’hébertisme. Tout le monde s’amusait, mais Thomas était resté coincé sous un demi-tonneau. Il avait suffoqué. Il avait fallu qu’un moniteur vienne le sauver. Il s’était fait surnommer le Tonneau. Mais il n’avait pas craint le voyage en raquettes. Les campeurs avaient traversé un bois, puis des friches laissées par la compagnie forestière, puis un lac gelé. Thomas faisait partie de ceux qui traînaient en arrière. Le campement était sur une presqu’île où il y avait deux constructions : une cabane en bois rond avec un poêle à bois, et un chalet hanté, le camp Larouche, qu’on n’avait pas osé détruire. Les gens qui regardaient vers la presqu’île les nuits d’été voyaient briller des lumières dans le Larouche et ils entendaient même des musiques de l’ancien temps si le vent était favorable. Thomas n’avait pas eu peur d’aller voir en pleine nuit la chaise berçante du fantôme. Mais dans le camp en bois rond, il avait fait de l’asthme à cause de l’air rendu malsain par le poêle à bois. Le lendemain la lumière de mars l’avait ébloui. Elle était trop vive sur la neige. Thomas était distrait et il ne se souvenait plus dans quelle équipe il était au jeu de ballon. Il s’était encore fait appeler le Tonneau.

Thomas était résistant. L’année précédente, il avait eu chez lui un garçon de Vancouver en jumelage. Ils avaient joué à la tague avec les enfants du quartier. Thomas ne courait pas assez vite pour l’attraper. Le garçon de Vancouver lui avait dit calmement qu’il perdait son temps à essayer. La nuit, Thomas avait enfin pu le surprendre alors qu’il dormait dans la chambre d’invités. Il lui avait versé un contenant de plastique plein d’eau glacée sur la tête. Le garçon de Vancouver avait crié et s’était mis à le haïr. La mère de Thomas avait été révoltée par le geste de son fils. Thomas n’avait rien dit. Il était perdu pour les excuses. Sa victoire finale à la tague lui coûtait un prix exorbitant.

Lors du voyage à Rawdon, le groupe de Thomas avait fait sa classe neige avec des élèves de la classe de rattrapage. Les enfants qu’on mettait dans cette classe étaient considérés comme des déficients. Ou bien encore, ils avaient des problèmes socio-affectifs. Dans l’autobus qui ramenait les campeurs, Thomas s’était installé à côté d’une fille de la classe de rattrapage que tout le monde appelait Pollie. On la disait débile légère. Elle avait des difficultés d’élocution. De tous les campeurs, c’était elle la plus sensée et la plus intéressante. Thomas et elle avaient parlé de natation et de planche à voile. Elle aimait l’eau. Enfant, elle était restée sur le bord du lac pendant que son cousin jouait. Il avait cassé la fenêtre du chalet. Il s’amusait à lancer les gros morceaux de verre. Pollie en avait reçu un dans le front. Son père l’avait conduite à l’hôpital où elle avait guérie sa blessure en deux semaines, mais il lui était resté au cerveau une lésion irréparable.

L’autobus des cégépiens est arrivé à New York par le New-Jersey alors que le soleil se levait sur Manhattan. À chaque mois, des pleins LG2 de tonnes de béton sont coulées à New York pour la faire croître. Les artéfacts que fait remonter cette régénérescence perpétuelle sont déposés chez Urban Archaeology. Thomas et Jacinthe ont visité avec un guide ce formidable empilement de morceaux d’édifices.

Jacinthe avait des dollars US que son père lui avait donnés. Pour les dépenser, elle a invité Thomas au CK Club. Elle avait apporté exprès des habits sobres. Elle a réussi à se faufiler avec Thomas sous le nez du portier. Ils ont passé leur nuit à danser sur des rythmes inconnus et à boire des boissons sous un vivarium rempli de fleurs tropicales. Autour d’eux, des Touaregs ou des Hmongs menaient des vies incompréhensibles. En sortant du CK juste avant l’aube, Jacinthe a dansé dans la rue avec Thomas quand elle a aperçu les chevrons illuminés du Chrysler Building.

Jacinthe était certaine en rentrant à Montréal que son amour pour Louis-Olivier allait s’épanouir. New York serait leur religion commune. Mais Louis-Olivier allait oublier son anniversaire quelques jours plus tard, et la blesser en se trompant en public sur son nom.

Pendant que les New Yorkais faisaient leur voyage, l’ambiance avait changé au cégep Crémazie. Le gouvernement avait manifesté son intention de couper les bourses d’études et d’augmenter les frais de scolarité. Un mouvement de contestation s’était formé.

Les cours ont été suspendus pour une journée de grève, puis une assemblée générale a été convoquée. Beaucoup d’étudiants ont profité du congé de grève pour sortir. Le clair de lune leur a donné des couleurs. Le Carrefour était transformé en salle de débats. Les politiciens étudiants appliquaient le code Morin. Les arguments émotifs et les arguments idéologiques s’exprimaient. Après le débat, un groupe de musique a pris le relais des tribuns. Les musiciens faisaient une tempête avec leurs instruments. Le chanteur criait par-dessus la tempête des mots de colère et de tristesse.

Les professeurs et les administrateurs, habitués à ces cérémonies, passaient au fond de la salle pour se chercher un café. Ils avaient d’autres soucis. Un conflit s’était déclaré entre les professeurs et madame Hatfield, la despotique directrice des Instances pédagogiques. Cette femme au rôle faussement subalterne tirait toutes les ficelles dans le Cégep Crémazie. Elle était aux abois. À cause du conflit avec les professeurs, le cégep avait été privé de son autonomie administrative. L’Inspecteur ministériel Séguin était dans la place, prêt à ravir son précieux pouvoir à madame Hatfield.

L’Inspecteur ministériel visitait au moins une fois par année chaque cégep de la province. Il vérifiait l’application des programmes et des budgets. Dans les cégeps mis en tutelles, il remplaçait l’administration. Il était notoire que le Ministère de l’Éducation se servait de ces occasions pour faire des expériences. Les fonctionnaires testaient sur des sujets vivants leurs projets de réformes pédagogiques. L’Inspecteur rédigeait son rapport de tutelle quand les fonctionnaires étaient satisfaits des données qu’ils avaient accumulées.

L’Inspecteur Séguin avait une fille studieuse qui s’appelait Amélie et qui préparait un doctorat. Son père l’adorait et l’exaspérait par ses attentions. Elle s’était fait un copain nommé Mathieu qui l’adorait encore plus immensément que son père. Mathieu était lui aussi un doctorant. Son sujet d’études était le Québec nordique. Il partait dans la toundra faire du terrain plusieurs mois par année. Il couchait dans des tentes et il chassait pour se nourrir. Il connaissait le pays des centrales électriques aussi bien que les autres pays du nord dont on ignore l’existence à Montréal. Mathieu était un doux. Quand il couchait à la maison, il caressait doucement Amélie et lui racontait des histoires. Quand elle était prête, il lui faisait l’amour, puis il la caressait encore jusqu’à ce qu’elle s’endorme.

L’Université avait confié à Mathieu une délégation de savants européens venue pour visiter la Baie James. Un oratorio électronique avait été joué pour eux dans une salle de bal et le recteur avait lancé l’expédition. La voûte qui recouvre le lac de rétention de LG2 venait d’être achevée. 5000 personnes pouvaient y vivre. Une des rives du lac était couverte par une forêt artificielle. Plus loin des turbines, un bassin permettait à des équipes d’élite de faire des championnats de natation. Les délégués et Mathieu ont voyagé dans un hélicoptère peint aux couleurs de l’Université. À mille pieds dans les airs, ils ont pu jouir du spectacle de la toundra.

Les nuits où Amélie était seule, elle visitait des sites de clavardage sado-masochistes. Elle travaillait pour sa thèse. Les meilleurs sites étaient mis en ligne par Mike Calabrese, propriétaire d’un empire érotique. Son vaisseau amiral était le club l’Amour, où les clients se consommaient dans des petits boudoirs emménagés. La police lui faisait des visites régulières pour l’obliger à fermer. Un ami avocat de Mike Calabrese se chargeait alors de faire des causes célèbres. L’Amour ouvrait à nouveau dans des locaux plus grands dont les enseignes plus voyantes faisaient de la publicité aux autres maillons de l’empire Calabrese : les sites Internet, les agences d’escortes et les clubs d’orgies.

Les membres du club d’orgies se rencontraient dans des maisons louées. L’Inspecteur ministériel Séguin était un participant régulier. Il allait parfois seul aux orgies, parfois avec sa femme. Il dormait enchaîné dans la cave. Une femme superbe, le visage recouvert d’une cagoule, venait réveiller l’Inspecteur au milieu de la nuit pour le rudoyer. Le matin, les femmes engagées partaient et les membres du club déjeunaient ensemble.

Amélie analysait la structure du langage des échanges et des petites annonces. Elle avait monté une grille pour placer les fantasmes dans des catégories. À l’occasion d’une conférence, elle s’est trouvée à Ottawa. Elle a dîné dans un restaurant végétarien. Les murs étaient couverts de paroles d’un gourou bouddhiste. Amélie s’est installée pour travailler avec son ordinateur. De sa place, elle pouvait tout observer. Amélie a vu rentrer une fille très blonde qui portait des sandales à lacets d’un cuir rouge particulier. Pour Amélie, ces sandales signifiaient sans équivoque que cette fille pratiquait la flagellation passive. La fille portait une robe en velours noir qui montrait un dos sans marques ni cicatrices. Ses sandales étaient peut-être une provocation, ou bien, elle n’avait encore trouvé personne avec qui assouvir son fantasme. Il a fallu qu’Amélie se retienne d’aller l’interroger.

Sur les sites SM, Amélie engageait des dialogues virtuels en suivant les contraintes de son plan expérimental. Quand elle ne trouvait pas certains cas qu’elle avait besoin d’étudier, elle mettait elle-même des annonces. Elle affichait des fantasmes insincères pour attirer des cobayes. Elle accompagnait les fantasmes de sa vraie photo ou de photos qu’elle scannait dans des revues. Amélie se rendait aussi à des rendez-vous pour faire ses observations. Elle a pu publier des résultats préliminaires. Son article a eu du retentissement. Les commentatrices des courriers du cœur ont cité les travaux d’Amélie en les déformant. Les membres des sites de rencontre et des clubs échangistes ont détesté que leurs fantasmes soient décortiqués à tort et à travers. Des ennemis d’Amélie lui ont écrit un message pour l’attirer dans un guet-apens. Dans la petite fête qui était censée précéder une orgie, Amélie a été démasquée. Son père est arrivé. Il s’est approché d’elle le visage blême de colère. Il l’a giflée. Les membres du club avaient aussi des photos d’Amélie dans une tenue humiliante. Ils les ont envoyées à Mathieu.

Mais Amélie et Mathieu étaient des dommages collatéraux. L’instigatrice du piège était madame Hatfield, la directrice des Instances pédagogiques du cégep Crémazie. C’est l’Inspecteur Séguin qu’elle voulait blesser en le confrontant aux niaiseries de sa fille.

» Chapitre III


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