Tweety Bird
Je suis arrivé à Henri-Bourrassa par l’autobus 9. À la place de regarder Laval, j’avais dormi. Le métro était fermé. Apparemment, un colis suspect avait été trouvé. C’était l’heure de pointe. Des autobus arrivaient de toutes les contrées du nord et déversaient des cargaisons de nouveaux passagers. La voix électronique de fausse madame STM répétait un message inutile. Aux guérites fermées, des employés donnaient des informations aux initiés. Les informations se transformaient en rumeurs. Les rumeurs déclenchaient des mouvements. La foule est montée en surface pour prendre des autobus de remplacement. Trop peu nombreux. Trop longs à se mettre en place. Une nouvelle rumeur a fait refluer la foule vers les tunnels.
La rame de métro était déjà remplie de monde entassé. Ses lumières étaient éteintes. La fausse voix STM disait « un incident cause un ralentissement de service sur la ligne orange. D’autres messages suivront. » Les lumières se sont allumées. Je me suis faufilé. À chaque station, la foule faisait des grands mouvements. Une fille s’est installée collée sur moi : « do you think I can squeeze in?» Je n’avais pas accès à un poteau. J’ai les jambes assez fortes pour garder l’équilibre.
La fille lisait une revue à potins multicolore. Un numéro spécial qui portait sur une soirée de gala, avec des pages sur les vedettes les plus mal habillées. La pire vedette avait un outfit jaune que la revue à potins commentait en faisant allusion à Tweety Bird. J’ai bien regardé par-dessus l’épaule de la fille. La revue avait raison. Le outfit était hideux.
En sortant du métro je suis allé aux Foufs. À une table il y avait nulle autre que ma voisine Anouchka. Elle se faisait faire son tarot par un nommé Willy. Elle était enthousiaste. Elle parlait du développement spirituel de sa belle-mère et de son association avec un mage transexuel qui est fameux à Longueuil. Willy m’a offert de faire mon tarot. J’ai dit meunute. J’ai couru au Vietnamien à côté pour payer le souper. Johnny m’attendait. Il m’avait ramassé aux Foufs un peu avant pour se faire inviter. Il était pénible. Il surproduisait les paroles. Il parlait trop fort. Il était content de s’être trouvé une place au foyer autochtone de la rue de la Gauchetière. Il a un couvre-feu. Il faut qu’il rentre à onze heures. Je m’étais poussé de lui pour aller chercher de l’argent au guichet des Foufs.
Je me suis senti en confiance avec Willy. Il avait le genre bon gars. Il me trouvait des consolations pour mes mauvaises cartes. La maison Dieu qui annonce des désordres, et une autre qui annonce je ne sais plus quels malheurs. Willy cherchait longtemps les interprétations dans son ti-livre. Moi je l’aidais à additionner les chiffres romains sur les cartes. J’ai posé une question aux cartes sur mes amours. Je voulais jouer le jeu du tarot. Mais c’était de la tricherie. Les amours, ça ne me concerne pas. J’ai posé une autre question sur la possibilité d’une vie future à Berlin.
J’ai connu une avocate qui consultait son tarot avant de prendre ses décisions. Les cartes l’aidaient à méditer ses problèmes. Elle se donnait des points de vue nouveaux en se demandant qui pouvait bien être le pape ou le pendu. Je peux bien croire un peu au tarot. Dans le même genre de superstitions, j’ai vécu un épisode de loi du retour. Un vieux Vietnamien m’avait servi une soupe très lourde pour ses bras frêles. La soupe coûtait 9 piastres. Je l’ai payée avec un 10. Le Vietnamien m’a rendu 11$. Je lui ai dit qu’il se trompait. Plus tard dans la soirée, j’ai été au terminus Voyageur pour humer l’odeur des voyages. Une fille m’a rattrapé. Elle me tendait un 10$ qui venait de tomber de mes poches.
Dans le restaurant, je lisais en allemand. Le vieux Vietnamien s’adressait à moi en français avec un accent. Près de la caisse, un autre Vietnamien tenait une longue conversation en anglais dans son téléphone cellulaire. Comme j’écris ces lignes, j’entends deux gars qui se parlent en espagnol.
J’ai un fantasme sur Berlin. Dans ce fantasme, je vis à Berlin depuis longtemps. Je me retrouve en vacances avec Vincent et Alexia quelque part en Europe de l’ouest. Pour faire le drôle, je fais celui qui paranoïe que des agents de la stasi espionnent notre conversation. Je leur dis aussi que ça fait donc romantique d’entendre parler en français.