Dans le 450 : Cyclotourisme vers l’absolu
S’arracher
J’ai entendu par hasard un couple à la télévision. Ces gens racontaient qu’ils avaient beaucoup voyagé. Voyage. J’ai tendu l’oreille, me demandant quelle Corée ou quelle Égypte ils allaient évoquer. J’ai vite déchanté. Leur «voyage» les avait mené en Floride. Ils ont poursuivi en se plaignant qu’on ne trouvait pas encore à Québec tel type de centre d’achats énorme où tout est vendu à des rabais incroyables. Les voyages sont censés être un acte de libération. Partir vers l’intérieur de ce continent, c’est s’enfoncer, pas se libérer.
J’éprouve un déchirement quand je sors de Montréal. Je subis la puissance d’attraction de la place d’Armes. Si je pars au nord, je commence à être perturbé sur le Plateau Mont-Royal. Ce quartier fait partie du Centre, mais il représente les confins des terres évangélisées. Le grand nord commence au boulevard Rosemont. Il comprend Laval, Saint Jérôme, et Malartic. Les missionnaires rivalisent de zèle pour se gagner les âmes perdues dans ces contrées. Si je traverse vers la rive Sud, je songe avec effroi qu’on doit y voir le monde à l’envers car on y est du mauvais côté du Fleuve.
Je finis par embrasser l’aventure quand j’arrive devant un pont. Je suis seul sur la route, sans dispatch pour me guider.
Longueuil
On peut difficilement arriver à Longueuil dans un état normal. C’est à cause des 3km qu’il faut passer suspendu sur le pont Sans-quartier, à rouler au-dessus du centre-ville, du Fleuve, des îles de l’expo et des terres étranges de la rive sud. On respire tellement fort en haut qu’on arrive toujours à Longueuil saoulé par le vent. Le pont Sans-quartier est un des plus beaux monuments au monde. Il sert aussi à étendre l’emprise de Montréal. Les jeunes des pays du sud associent Montréal à l’ivresse que leur donne la traversée. Comme la ville ne les déçoit jamais par la suite, ces jeunes deviennent des témoins. Leur parole entretient le renom de Montréal jusqu’aux frontières américaines.
Aux abords du pont, Longueuil est un avant-poste de la civilisation, avec des gratte-ciel et même une station de métro. Plus loin, on trouve aussi une Main très honorable, la rue Saint Charles où se trouve l’Arcane, un bar fameux pour la soirée des dames qu’il y avait là jadis. Dans le vieux Longueuil tout près on se sent davantage à Montréal que dans certains quartiers de Montréal. Ces rues du Vieux Longueuil ont chacune droit à un spectacle différent de l’église Saint Charles Borromée. Mais le Vieux-Longueuil n’est qu’un rideau. Dès qu’on bifurque vers l’intérieur des terres par le chemin Chambly, on entre dans des contrées sauvages. Sur des milliers et des milliers de kilomètres se déroule un cycle de fast-food, de stations de gaz et de centre d’achats de série B. Les jeunes font des chasses à courre ici avec leur char. Leur but est de foncer le plus vite possible sur les vieux qui s’aventurent à pieds.
La rue Saint Charles traverse la ville des morts et le Champs aux orages avant d’atteindre Varennes. La ville des morts porte un nom de développement domiciliaire. À son entrée les promoteurs ont mis une statue de terrain de golf. Le Champs aux orages de Pratt and Wittney se trouve tout près. Sur des hectares, des capteurs spéciaux attirent sur eux le tonnerre. Quand les capteurs sont chargés, les ingénieurs les récoltent et les posent dans des nacelles sous les avions. Le tonnerre prisonnier des capteurs permet ensuite les décollages et les vols à 0,8 Mach. Plus loin, on atteint Varennes, qui est une ville de la Gaspésie. Tout se passe dans son centre de loisirs, surtout s’il fait froid, un soir de party dans le temps des fêtes.
Soirée de gala
Miss Verchères fait des études.
Miss Brossard fait la potiche.
Miss Chambly a des faux ongles.
Miss Lemoyne est trop sûre d’elle.
Mais miss Rougemont tu l’écœures pas.
Miss Beloeil aime les enfants.
Miss Laprairie a les yeux bleus.
Miss Saint Luc a un beau chum.
Miss Sorel est fière sur ses talons.
Mais miss Longueuil va la faire tomber.
Les Ours ont massacré les Faucons.
La game ils l’ont même pas gagnée.
Ils voulaient juste qu’il y en aille qui saignent.
Tantôt ils jouent contre les Foreurs.
Là ils vont se faire ramasser.
Miss Saint Hyacinthe est rendue bien saoule.
Elle a vomi dans sa couronne.
Mais aujourd’hui elle s’en sacre bien.
Elle les a toutes envoyé chier
Parce que c’est elle qui a gagné.
Une gang de motards est dans la ville.
La police est même partie.
Personne d’autre va s’en aller.
Ça sert à rien de barrer ses portes.
À soir tout le monde va y passer.
Foi
La Carte est le Livre de la Montérégie. Je m’en remets à elle et je parviens à Saint Jean. Je m’installe dans un café d’où je vois le Richelieu. Je lis le Canada français. La nuit tombe, il se met à neiger. Il va bien me falloir trois heures pour rentrer. La Carte me montre un bon chemin pour retrouver Chambly. Le long du Richelieu, je ne vois plus rien qu’un banc de neige devant moi. Où donc est la route ? Il fait froid à fendre pieds. Voici un dépanneur. J’entre pour me dégeler. Le commis a un chandail du Canadien. Il me suggère qu’un ski-doo serait plus efficace qu’une bicyclette. Je repars. J’ai hâte d’être sur le pont. Je sais que toutes les fois où je me suis abandonné à la Carte de la Montérégie, j’ai vu la séquence des merveilles qu’elle m’avait annoncée : l’aéroport de Saint Hubert, les promenades Saint Bruno, le mont Saint Hilaire, la Yamaska, Saint Hyacinthe et même la maison.
Humilité
Sois humble, ô cycliste. S’il fait nuit noire, sache renoncer au mètre de chaussée qui te revient sur la droite des routes dont l’accotement n’est pas pavé. Roule sur le gravier loin des automobiles, même s’il faut que tu fasses 15 km dans la poussière sur la 104 entre Saint Luc et Laprairie, ou 20km parmi les cailloux sur la 116 entre Rouville et Saint Bruno. Souviens toi aussi que personne ne comprend la joie que tu éprouves dans tes tripes en lisant les panneaux verts sur lesquels in est écrit «Côteau-du-Lac 9, Saint Lazare 17» ou « Saint Hubert 9, Montréal 22 ». À Salaberry-de-Valleyfield, contemple devant la cathédrale le beau monument aux zouaves, avec son buste à Pie IX, ses zouaves symétriques qui s’inclinent, ses devises en latin et sa dédicace rendant hommage à la papauté. À Melocheville, mange le pain du pèlerin quand des voyants rouges s’allumeront dans l’ordinateur de bord de ta bicyclette pour t’indiquer que tu as faim. Mange la pain en poutine, lis le Journal, reviens à la vie et reprend ta route.
Le carrefour Laval
Sur les autobus de la STL, une publicité vante Laval comme la ville de vos loisirs. Qui voudrait vraiment avoir ses loisirs à Laval? Moi sans doute, qui vois souvent cette publicité sur les routes de Laval où je passe beaucoup de mes temps libres. L’île de Laval ressemble à l’île d’Orléans. Les deux îles se sont développées de la même manière: des villages à intervalles réguliers sur le pourtour de l’île, des terres arables au milieu. La grande différence c’est que le milieu de l’île de Laval a été transformé en parking.
Au milieu du parking, passe l’autoroute 440. Elle est la plus puissante de toutes les autoroutes, Jourdain et Styx et de Laval, source de vie et séjour des ombres. Elle est pourtant inconnue dans le vaste monde. Le parcours de la 440 ne déborde nulle part de l’île mystérieuse dont elle irrigue les forces avec ses huit voies et ses quatre bandeaux d’asphalte. À l’orée du grand parc industriel, le boulevard Le Corbusier franchit la 440. Laval est un plat pays. Le viaduc Le Corbusier est son belvédère. On peut y admirer le panorama de la rencontre entre la 440 et l’autoroute 15, l’autre grand axe de l’île aux secrets. Ce carrefour de titans est signalé par un petit bouquet de tours parées de noms de banques et d’hôtels. Je réalise un rêve : découvrir dans le lointain une clairière inconnue pleine de gratte-ciel.
Une source souterraine jaillit du sol à de la rencontre des deux autoroutes, ou bien alors un météorite est tombé du ciel précisément à cet endroit. Un centre commercial gigantesque célèbre le prodige: le Carrefour Laval. Ce centre commercial est une image de la perfection céleste. Dieu nous a irrémédiablement chassés du jardin d’Éden, mais il nous reste le recours de construire le paradis avec des grues et des poutres d’acier. L’œuvre humaine la plus parfaite à ce jour est le Carrefour Laval, et la nouvelle aile en construction est peut-être notre meilleur espoir de surpasser enfin l’œuvre de Dieu.