La bataille de Manassas 5
5. Reagan Airport
Des signes de sous-développement indiquent que la société américaine a peu mûri depuis la guerre de sécession : le port d’arme, les inégalités sociales, et l’emprise des zélateurs de la religion. Mais l’Amérique est aussi un pays avancé, avec des downtowns, des centres commerciaux et des aéroports.
Contrairement aux villes européennes qui ont été bombardées, les downtowns américains sont historiques, avec un mélange de gratte-ciel de plusieurs époques. Les plus beaux portent des noms épiques comme One Financial Plaza ou First Mercantile Tower. Quand les blancs se sont sauvés dans les banlieues, les downtowns se sont dévitalisés. La tendance récente est de construire des tramways pour les ranimer. Mes préférées sont les villes de l’Ohio : surtout Cleveland et Columbus. Mais quand retournerai-je aux États?
Au moment de mon départ pour Washington, l’immense machine stratégique des lignes commerciales américaines venait d’être ébranlée par un attentat raté au-dessus de Détroit. Les passagers étaient stressés à la porte d’entrée des douanes US à Dorval. Chacun d’entre nous a dû ôter ses souliers et faire une sorte de danse érotique devant l’agent frontalier. À l’aéroport Reagan de Washington, des signaux indiquaient le degré orange d’alerte. Mais les passagers américains gardaient nettement mieux leur cool. À travers les fenêtres du terminal, j’ai contemplé avec envie le décollage des avions d’Air Milwaukee et de Northwest Airlink. J’ai joui aussi pendant la démonstration de sécurité. L’anglais le plus excitant n’est ni l’anglais black ni l’anglais savant des musées : c’est l’anglais d’aéroport. J’ai lu quelque part (où c’était?) que la puissance mongole dépendait des circulations à cheval, que la cohésion de l’empire britannique dépendait de la flotte, et que l’empire américain lui, tient sa puissance de sa suprématie aérienne (airborne empire). J’aimerais bien passer une semaine complète en transit entre les hubs américains. Je visiterais Kansas City International et Houston Intercontinental et le Phoenix Skyport, dans des villes où je n’irais jamais si l’aéroport n’était pas son attraction principale.
Épilogue
Le lendemain de mon départ, un coup de vent venu du Canada a causé plus de perturbations à Washington que la bataille de Manassas. Il est tombé 120 centimètres de neige. L’aéroport Reagan a été paralysé mieux que par une alerte rouge, 300 000 fonctionnaires fédéraux ont été mis en chômage technique et vers la fin de la tempête, les vivres ont commencé à manquer. À Haïti, la terre tremblait. À Montréal régnait la paix civile et les cyclistes roulaient sur de l’asphalte comme en plein mois d’avril.