Aventures à Trois-Rivières
Le film de Maude
Le secret pour se sentir en vacances, c’est de découcher.
La Madame est venue me rejoindre à Trois-Rivières en allo stop. On est allé voir Levasseur, qui habite
maintenant avec Maude dans la ville de la poésie.
Levasseur écoutait un mauvais film de cul. On l’a analysé. Le langage non-verbal des protagonistes contredisait leur langage verbal. Les actrices avaient l’air de souffrir et de se faire abuser. Leur non-jeu faux et stéréotypé avait des vagues air d’Hollywood. On assistait à la malédiction de la starlette ratée. Quant aux acteurs, ils paraissaient s’ennuyer. On aurait dit que leur zizi était un corps étranger. Il y avait pourtant du fétichisme intéressant dans ce film : une scène en costume avec des robes de style Pompadour. Sous les jupons, il y a une petite fente. La structure de ce vêtement m’a fait comprendre enfin le concept de troussage. Après la représentation, on a fait des agapes de retrouvailles à l’Embuscade et au Zénob. Les bars de Trois-Rivières présentent un grand intérêt.
En se levant après cette soirée, la Madame avait une haleine de lendemain de veille. Elle se demandait quels animaux morts lui pourrissaient dans la bouche. Je lui ai révélé  que ce sont les gros mots qu’elle dit qui expliquent la mauvaise haleine. D’ailleurs Maude et Levasseur aussi devaient avoir mauvaise haleine, parce qu’ils nous ont raconté une menterie.
Le soir suivant chez Levasseur l’ambiance était tordue et lugubre. Maude nous a pourtant montré un film érotique qu’elle a fait avec la poétesse Frédérique Marleau et des vidéastes de pointe. On y voit Frédérique équipée d’un pénis en latex monté sur une ceinture, un strap-on. Dans des beaux jeux d’éclairages, Maude masturbe et suce le strap-on, puis elle se fait pénétrer. Dans la dernière séquence, on voit Maude qui porte à son tour le phallus synthétique. La scène sexuelle est montrée deux fois avec des atmosphères différentes. La première fois, on entend en fond sonore la récitation d’un poème intitulé La femme phallique. Un extrait :
« Dans la psyché je préside une assemblée d’hommes en érection »
« J’ai pénétré ma mère en rêve »
La deuxième fois qu’on voit la scène de sexe, une musique laisse davantage de place à l’érotisme des images. Contrairement au film de Levasseur, celui de Maude donnait envie de créer et de baiser . Comme les peintures au musée donnent envie de dessiner ou d’écrire ou de baiser aussi d’ailleurs.
Le cochon et la fourmi
Trois-Rivières a un vieux centre compact avec trois points de convergence. À l’est, la place devant les Ursulines vaut les plus belles parties du Vieux Québec et devrait faire taire ceux qui disent que Trois-Rivières est une ville laide et puante (attitude déplorable des Trifluviens, qui me découragent en me demandant ce que je peux bien chercher dans leur ville). À l’ouest, le terminus Badeaux est moins bien, mais il a un bel air de downtown avec des autobus et des squeegees. Quant au parc Champlain, c’est le Centre, avec la cathédrale sur un de ses côtés. La Madame a proposé de visiter cette cathédrale. Elle a trouvé le sacristain et lui a fait allumer un lampion en mémoire de sa mère. De son vivant, sa mère aimait les lampions. Quant la Madame faisait brûler des lampions chers à 50 pesos au Mexique, les autres fidèles la regardaient comme une femme qui négocie quelque chose de très important avec l’au-delà . Il ne doit pas y avoir de loterie au Mexique. Ma mère à moi n’aimerait pas que je fasse brûler des lampions pour elle. Elle a une aversion janséniste pour les rituels. Sobriété et tempérance émotive. Ma grand-mère a eu des funérailles standard, mais pas un monument en pierre, seulement un segment consacré du sentier trans-canadien (que les dieux m’épargnent d’être associé mort ou vivant à cet insignifiant projet).
Pendant que la Madame s’occupait avec son lampion, j’ai feuilleté un livre de pensées pieuses (il était écrit un mot sur la couverture que j’ai d’abord confondu avec dictionnaire, ce devait être lectionnaire, ou quelque chose comme ça). Je me suis dit que j’y trouverais peut-être des nourritures. Quelques pages étaient consacrées à l’amitié et annonçaient bien (je ne lis pas ça par hasard, je me suis dit). Puis dans d’autres pages, le lectionnaire assénait la chasteté à ses lecteurs. Voilà que la religion me montrait déjà son visage de haine. Un feuillet paroissial à côté du lectionnaire était illustré de photos de toutes les églises dépendant de la cathédrale. La plupart étaient barrées d’un bandeau qui disait fermée. J’ai pensé : bien fait pour toi, Église fermée.
Les différentes parties du centre ville de Trois-Rivières sont reliées entre elles par l’axe de la rue des Forges, belle rue principale avec une belle ouverture sur le fleuve. Dans une des vitrines, une affiche montrait un cochon sentant une rose. Il était présenté comme une PorkStar. Il avait des longs cils et des yeux attendrissants. Je n’ai pas souvent vu des cochons en vrai dans ma vie, non plus que des moutons ni des ânes. (Malheureusement, je vois des chiens presque tous les jours.) L’affiche comportait des conseils qui pouvaient nous concerner, la Madame et moi : être moins grognon, laisser chez soi sa tête de cochon. Le cochon nous a inspiré. La Madame m’a parlé d’un champignon qui s’empare des organismes des fourmis quand elles le mangent. Les fourmis atteintes sont parquées dans un enclos psychiatrique, prévu dans la remarquable organisation urbaine-sociale des fourmis. Après une période de démence, le champignon achève de consommer le cerveau de la fourmi et sort par ses yeux.
Je regrette de ne pas avoir pris une photo de la Madame devant la statue de Duplessis. Du haut de son socle trifluvien, Duplessis a un air plus résolument tyrannique que sur son autre statue devant le parlement à Québec (Yohann appelle Duplessis le tyranneau de bergerie). La Madame sous ma mauvaise influence est devenue plus impatiente et elle émet des jugements tranchés dignes d’un général sud-américain. Mais je dois aimer la compagnie des despotes parce que j’en fréquente plusieurs.
Le Ludoplex
La piscine du centre sportif de l’UQTR est un équipement spartiate : eau glaciale, corridor à douches automatiques obligatoires pour se rendre aux bassins, néons qui font la peau verte, béton, recommandations hygiéniques sur les murs et machines à essorer les costumes de bain. Exactement ce que je cherchais. En sortant j’étais rafraîchi mais zombi. Je manquais d’affection. Comment on peut s’ennuyer en vacances? Je pourrais être en train de laver de la vaisselle ou de torcher des patients ou de
faire des revues de presse enfermé toute la nuit dans un bureau avec des mongols plutôt que de me plaindre de mes loisirs. Je déprimais donc quand je suis tombé le nouvel édifice construit par Loto-Québec dans le parc d’exposition de Trois-Rivières. Le Ludoplex. Il sert à concentrer des machines à sous retirées des bars. (Apparemment, les machines à sous sont moins nocives si on en aligne 300 au même endroit). Le Ludoplex est attrayant comme un bonbon avec des volumes lisses de toutes les couleurs qu’on croirait faits en blocs Lego. Le gouvernement s’est forcé pour faire de la belle architecture parce qu’il est coincé dans ses contradictions. Il fait la promotion du jeu, si nuisible à la société mais si payant, tout en s’efforçant de remplir ses missions sociales, qui lui coûtent cher et qui l’obligent à des revenus élevés. Je voulais photographier le Ludoplex, mais des jeunes en tenue de canicule ont grandement détourné mon attention.