Le chant du coq

09/08/2005 in Non classé | Comments (0)

D’habitude quand je fais du cyclo, je m’arrête à tous les deux ou trois villages pour boire de l’eau en bouteille sur des perrons d’église. Cette année, à la place, j’ai fait mes pit-stops au comptoir des bars locaux. Jus d’orange à 3$, thé glacé, glace pilée dans des verres. J’ai eu des succès touristiques.

À Thurso, je me suis vanté d’avoir nagé dans l’Outaouais. Tout le monde dans le bar avait des commentaires à faire. J’avais un t shirt sur lequel j’avais écrit « je suis en vacances ». Il faisait chaud, le t-shirt était tout mouillé, tout déformé, mais il devait être encore lisible parce qu’un des clients m’a souhaité bonnes vacances quand je suis parti. À Lavaltrie, le barman et les clients connaissaient mon quartier. Ils m’ont demandé si c’était toujours aussi rough Hochelaga. J’ai dit non, maintenant il se construit plein de condos ça change à vue d’oeil. On s’est demandés où c’est que les gangs pouvaient bien être rendues. J’ai suggéré qu’elles devaient pas mal toutes êtres rendues à Lavaltrie.

À Québec, j’ai été au bistro multimédia le Scanner, juste au pied de la côte dans le quartier Saint-Roch. C’est un bar alternatif qui fait jouer de la bonne musique punk et qui a des ordinateurs gratuits pour aller sur Internet. Je me suis assis sur un tabouret, j’ai étalé mes livres sur le bar et je me suis commandé un spécial du jour: deux Têtes d’orignal blondes pour 5,50$. Des bières de première qualité.

La fille qui était assise à côté de moi m’a demandé « Coudonc, t’es tu en train d’étudier ». J’ai dit « ben oui ». Elle m’a demandé si j’avais un examen demain. Je lui dit non, je suis un prof en vacances, je prépare mes cours pour la prochaine session. Elle m’a demandé mon âge, elle ne me croyait pas. C’est vrai que j’avais une casquette sur la tête.

À Québec, les gens fonctionnent avec des modèles de ce qu’on est supposés de faire. La fille m’a laissé lire, mais je n’arrivais plus à me concentrer: à cause d’elle je sentais que je transgressais. Un gars s’est assis à côté d’elle. Il la cruisait vaguement. J’ai pu me remettre au travail. Cette fille est une actrice. Elle beurrait de l’emphase sur tout ce qu’elle disait. Le gars n’avait pas l’air très authentique lui non plus.

Sur la route de Québec, j’ai eu des crevaisons à l’aller et au retour. J’ai été exemplaire. J’ai tout réparé moi-même sans m’énerver.

La deuxième crevaison s’est inscrite dans une série noire. J’ai eu du mal à sortir de Québec. J’étais émotif. J’ai passé une dernière soirée d’ordi à la taverne Bailey’s puis j’ai mis mes bagages sur l’autobus. Je n’avais plus le choix de partir. Je me suis couché trop tard. Je me suis arraché du château Huot à onze heures. À peine à l’ouest de la ville, j’ai vu un gros nuage noir qui bouchait le ciel. J’ai des vieux comptes à régler avec le comté de Portneuf. J’ai déjà été là en camp de vacances. J’essayais de refouler le nuage, mais il m’est tombé dessus à Neuville. Comme la météo n’annonçait pas de pluie, j’avais empaqueté mon imper avec l’ordi dans le sac Expédibus. Pour faire exprès, mon tendeur s’est pris dans ma roue. Il a fallu que je transporte tout mon stock sur mon dos.

À Donaconna, j’ai arrêté au Canadienne Tirelire. La pluie était finie, mais j’ai quand même acheté un imper jaune, en plus de tendeurs, de breuvages, de bas de laine secs, et d’autres fardeaux inutiles pour alourdir mon porte-bagage et mettre plus de pression sur ma roue arrière. C’est sans doutes pour ça que j’ai crevé. Je me suis aperçu à Sainte-Anne de la Pérade que ma réparation tenait, mais que mon pneu avait une fente d’un pouce de long. Je pouvais voir le tube. J’ai couvert la fente avec du tape électrique. Il me restait 40km à faire avant Trois-Rivières et deux heures de clarté avant la nuit. L’idée que je risquais de marcher de noirceur sur un pneu mort m’a rendu plus émotif encore que quand je me suis arraché de Québec. J’ai fait de la vitesse. Plus j’avalerais de route avant la rupture du pneu, mieux ce serait. En pédalant vraiment, je pourrais peut-être même m’acheter un nouveau pneu le soir même et être débarrassé de ce problème. Les enfants pleurent. Les adultes transpirent. Je suis rentré à TR avec le soleil couchant. J’ai été raconter mes péripéties chez Brunelle sports, j’ai réservé ma place à l’auberge de jeunesse. J’ai mangé du buffet chinois.

J’aime Trois-Rivières. J’y suis incognito, rendu là à la force de mes jambes, assez loin pour que personne ne puisse me rejoindre. Je descends la rue des Forges jusqu’au Fleuve. Je remonte vers le café internet. Le centre ville et fonctionnel et beau, avec des gratte-ciel, des monuments et des punks. À toutes les heures du jour et de la nuit, le parc Champlain est rempli de gens occupés.

Deux fois sur la 138, j’ai entendu un coq en plein après-midi. Sur la route je lisais un livre sur Rome que Vincent m’a prêté. Les Romains croyaient qu’entendre le chant du coq à des heures anormales présage qu’on va mourir dans l’année. Du coin de l’œil, j’ai vu bouger une grosse masse brune. Je n’ai même pas eu le temps d’avoir peur que ce soit un chien. D’ailleurs, dans ce voyage-ci, j’ai eu des bons rapports avec les chiens. La plupart de ceux que j’ai vus ruminaient à la chaleur sur des perrons de fermes. La grosse masse brune était un chevreuil apeuré qui traversait la 138. Combien de fois dans ma vie j’ai vu un chevreuil? L’excitation m’a déconcentré. J’ai failli perdre le contrôle de mon bicycle quelques minutes après la rencontre avec l’animal. J’avais fait le tronçon Montréal Québec la semaine avant avec Daniel Sanscartier. On a aussi fait le tour de l’île d’Orléans. On s’était dits que c’est plus sécuritaire de rouler à deux. Si quelque chose arrive… On a aussi constaté que c’est aussi beaucoup plus difficile de rouler pas tout seul… Après ma quasi chute, il y a encore eu un osti de SUV qui a perdu un gros morceau de fer à pleine vitesse. Il a atterri sur l’accotement à quelques pieds de moi. J’aurais pu le ramasser dans le front.

J’ai fini ma route au comptoir du Boudoir sur la rue Mont-Royal. Je suis un self-made man. Personne ne m’a poussé pour me rendre à Montréal. Je fais mon chemin tout seul.


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